A qui attribuer cette première? A Whymper le 25 juin 1864 ou à Meusnier durant l’été 1853? Des chercheurs mettent en lumière des ascensions oubliées, réalisées bien avant les « premières » entrées dans l’histoire de l’alpinisme.
La carte générale de France, plus connue sous le nom de carte de l’état-major, est un immense chantier réalisé par des officiers géographes, puis des officiers de l’état-major, entre 1818 et la fin des années 1860. Ils commencent par trianguler les méridiens et les parallèles, puis ils remplissent les blancs de ce canevas par des triangulations plus fines. Le capitaine Durand (voir article sous l’onglet « Edito ») a participé à ces travaux. Dans un courrier rédigé à Vallouise, fin juillet 1828, il écrit qu’il a terminé sa reconnaissance entamée 10 jours auparavant, et qu’il va installer son signal au Pelvoux. En 1830, depuis le sommet du Pelvoux, il procède à ces mesures. En Ubaye, c’est le grand Rubren qui est ascensionné par le capitaine Loreille, en 1823. Puis vient la dernière étape de cette triangulation. Elle consiste à prendre des mesures à l’intérieur des triangles précédents pour affiner le maillage. Dans les Hautes-Alpes, elle a lieu entre 1851 et 1853. C’est le capitaine Davout qui en est chargé. A cette occasion, il réalise la deuxième ascension connue de l’Aiguille Centrale d’Arves et, très probablement celle du Bonvoisin. Pour les derniers travaux de triangulation et de cartographie, de jeunes officiers sont envoyés dans le massif durant l’été 1853 : le lieutenant Meusnier, les capitaines Cousinard, Courier, Bourgeois, … Chacun à un secteur à couvrir pendant trois ou quatre mois. Le lieutenant Meusnier, chargé des vallées centrales du massif, est accompagné d’un guide et d’un muletier. Durant cette campagne, une vingtaine de sommets majeurs sont gravis : les Ecrins, l’Ailefroide, Neige Cordier, les Agneaux, le Sirac, les Rouies, le Jandri, …
Pourquoi tous ces travaux et découvertes ont été oubliés des différentes publications qui sont arrivées jusqu’à nous ? Pour la carte de Bourcet, la raison est simple et logique. Il avait ordre de dresser une carte afin de pouvoir contrer les assauts dans le cadre de la guerre des Alpes. Il s’agissait de facto d’un secret militaire, et il a été bien gardé. Pour la carte de l’état-major, c’est plus complexe. La carte était diffusée, rien n’était secret. Il semble d’ailleurs qu’au moins un des premiers alpinistes anglais de l’Alpine Club, Francis Fox Tuckett, savait que de nombreux sommets avaient été gravis par les officiers de l’état-major. Dans un de ses articles sur le Haut-Dauphiné paru en 1863 dans le journal de l’Alpine Club, il écrit : « MM. Bourgeois, Courier, Cousinard et Meusnier ont escaladé un grand nombre de très hauts sommets ». Et il poursuit que de telles ascensions sont le gage d’une grande précision de la carte au 1/40 000e. Whymper, un des ses confrères de l’Alpine Club, en avait eu connaissance. Nulle part dans ses écrits, Whymper dit avoir effectué la première ascension de la Barre des Ecrins. Il semble que se sont d’autres alpinistes, un peu plus tard, qui ont qualifié cette ascension de première. En se focalisant sur leurs collègues anglais, ces premiers alpinistes auraient ainsi oublié qu’avant eux, au cœur des Hautes-Alpes, des officiers chargés de dresser des cartes précises et fiables, avaient accompli de véritables exploits sportifs et techniques, s’en jamais chercher à s’en prévaloir.
Source : Dauphiné Libéré