Archives de catégorie : Les conquérants

alpinistes « peu » connus mais qui ont fait de grandes réalisations en Oisans

Gardiner et les Pilkington, pionniers de l’alpinisme sans guide

Frederick_GardinerLa première ascension sans guide de la Meije revient à Gardiner accompagné des frères Pilkington qui réussiront cet exploit en 1879, soit deux ans après la première ascension. A la fin des années 1870, les montagnes de l’Oisans sont fréquentées par un petit nombre d’initiés, notamment anglais. Tout ce petit monde se connait bien et chaque nouveau venu fait l’objet d’une enquête en règle : qui il est, quels sont ses projets et ses ambitions pour les années futures. Ce microcosme est aussi entretenu par la rareté des hébergements qui sont des plus sommaires : Gauthier ou Giraud à Vallouise, Juge à la Grave. En 1878, deux protagonistes qui ont des ambitions bien distinctes vont partager durant une semaine l’ascension de différents sommets du Pelvoux. Il s’agit de W.A.B Coolidge, de ses guides et de Frederick Gardiner. Le premier a entrepris l’exploration méthodique des Alpes et collectionne les premières. Le second est davantage attiré par l’aventure et l’exploit sportif. Gardiner connait moins bien l’Oisans que Coolidge mais a beaucoup fréquenté les alpes Suisses. Il a été le premier à fouler l’Elbrouz, point culminant du Caucase, avec Horace Walker en 1874. L’aventure est pour lui un affrontement direct avec la montagne qui ne tolère aucun intermédiaire. Depuis quelques années déjà des cordées se lancent dans des ascensions difficiles sans l’aide d’un guide. Deux amis, Charles et Lawrence Pilkington et lui-même ont été impressionnés par la première « sans guide » du Cervin, en 1876, par trois anglais. C’est bien cela l’aventure, pensent-ils, la liberté d’assumer l’entière responsabilité de la course. L’important est que la cordée soit homogène. Gardiner, comme les Pilkington, a longtemps grimpé avec des guides. Chacun d’entre eux est capable de conduire la cordée et a une confiance égale dans les deux autres. cette même année 1878, on retrouve les trois compères, sans guide donc, aux Ecrins, à la pointe des Arcas, au pic Joselme. « Sans guide » ne veut pas toujours dire sans porteur. Leurs détracteurs ne manqueront pas de souligner cette ambiguïté. En revanche, l’engagement des grimpeurs est plus intense. Gardiner et les Pilkington se donnent les moyens de bivouaquer, conçoivent une espèce de sac de couchage triplace et divers modèle de piolets.
L’année suivante, Gardiner revient dans les alpes du Dauphiné avec ses amis et une idée en tête. Les deux raisons pour lesquelles ils choisissent ces montagnes d’Oisans valent d’être citées: « parce qu’elles comprennent encore des cimes vierges ; parce que, n’ayant pas de guide, cette manière d’agir devait être moins perceptible d’éveiller l’attention en ce pays que dans d’autres régions des alpes plus à la mode. » Et parmi ces régions « à la mode » il y a Zermat et le Cervin dont la première ascension, en juillet 1865, se termina par la mort de quatre grimpeurs. L’alpinisme connu alors pendant plusieurs années une sorte de « paralysie » selon le mot de Coolidge. La cordée accidentée avait pourtant ce qu’il fallait de guides et d’expérience, mais un pas avait été franchi. L’aimable délassement de gentlemen fortunés pouvait viré au drame.  Pour de longues années, l’opprobre est jeté sur les jeunes inconscients qui se lancent à la conquête des montagnes au risque de priver la couronne d’Angleterre de ses plus brillants sujets. Coolidge décrit les premiers alpinistes qui osèrent, après l’accident, reprendre le chemin des cimes : « … opérant autant que possible loin des regards curieux, ceux-ci allaient et venaient désormais comme des coupables, objets de réprobation mal déguisée de la part de la foule des touristes ordinaires. »
En Oisans donc, on est tranquille. Pour mener à bien leur projet, en plus de l’expérience et la discrétion, il leur faut assez de courage pour briser une tradition, un tabou. C’est inimaginable ce qu’ils vont tenter, la Meije sans guide, une sorte d’Everest sans oxygène pour oser une comparaison moderne. Et s’ils n’ont pas relaté leur ascension, « un défi à la raison », on sait que, parfaitement préparée, elle s’est déroulée sans incident. Les trois hommes trouvent au sommet quelques reliques laissées par les précédents ascensionnistes, en prélèvent des échantillons qui permettront d’authentifier leur exploit et déposent à leur tour un peu de pacotille dans cette boite au trésor. Il est coutume à cette époque de déposer dans une boite de fer blanc divers objets, morceaux de tissus, lettres signées, …C’est le moyen le plus sûr d’attester d’une ascension, aussi bien pour celui qui à déposé l’objet que pour celui qui va le trouver. L’année précédente alors qu’ils avaient employé deux porteurs lors de plusieurs ascensions dans le Valgaudemar, une presse pointilleuse avait mis en doute qu’ils aient grimpé pour de bon sans guide. Cette fois les indices récoltés au sommet de la Meije suffiront et Coolidge, croisé quelques jours plus tôt à la Bérarde, ne tarira pas d’éloges à propos de « cette course, la plus audacieuse et la mieux réussie de toutes celles qu’ont faites jusqu’à présent les ascensionnistes les pus hardis, et qui mérite sans contestation la première place dans les annales des alpes ».
Au cours des années suivantes, Gardiner et les Pilkington continueront d’aligner les premières sans guide, toujours avec le même souci de rigueur et de préparation et en conservant l’esprit d’aventure et d’engagement qui, selon eux, était le propre de l’alpinisme. Rien ne les opposaient aux guides, auxquels ils avaient également recours, si ce n’est la volonté d’être acteurs et responsables de leur expédition, pour qu’elle ait, à leurs yeux, une vraie valeur humaine. Revenant sur le sujet de l’escalade sans guide dans son grand ouvrage « Les alpes dans la nature et dans l’histoire (1913)», Coolidge en fait un des traits de l’alpinisme moderne, en rupture avec celui des pionniers, au même titre que la préférence donnée au rocher plutôt qu’aux courses sur glacier.
Pour être exhaustif, il faut aussi mentionner d’autres précurseurs tels que Charles Hudson qui fit la première sans guide du Mont Blanc en 1855, Albert Frederick Mummery, Les frères Zygmondy, Eugen Guido Lammer et sans doute d’autres …

Source: Profils Briançonnais de R. Siestrunck

A qui attribuer la première ascension des Ecrins ?

IMG1EcrinA qui attribuer cette première? A Whymper le 25 juin 1864 ou à Meusnier durant l’été 1853? Des chercheurs mettent en lumière des ascensions oubliées, réalisées bien avant les « premières » entrées dans l’histoire de l’alpinisme.

La carte générale de France, plus connue sous le nom de carte de l’état-major, est un immense chantier réalisé par des officiers géographes, puis des officiers de l’état-major, entre 1818 et la fin des années 1860. Ils commencent par trianguler les méridiens et les parallèles, puis ils remplissent les blancs de ce canevas par des triangulations plus fines. Le capitaine Durand (voir article sous l’onglet « Edito ») a participé à ces travaux. Dans un courrier rédigé à Vallouise, fin juillet 1828, il écrit qu’il a terminé sa reconnaissance entamée 10 jours auparavant, et qu’il va installer son signal au Pelvoux. En 1830, depuis le sommet du Pelvoux, il procède à ces mesures. En Ubaye, c’est le grand Rubren qui est ascensionné par le capitaine Loreille, en 1823. Puis vient la dernière étape de cette triangulation. Elle consiste à prendre des mesures à l’intérieur des triangles précédents pour affiner le maillage. Dans les Hautes-Alpes, elle a lieu entre 1851 et 1853. C’est le capitaine Davout qui en est chargé. A cette occasion, il réalise la deuxième ascension connue de l’Aiguille Centrale d’Arves et, très probablement celle du Bonvoisin. Pour les derniers travaux de triangulation et de cartographie, de jeunes officiers sont envoyés dans le massif durant l’été 1853 : le lieutenant Meusnier, les capitaines Cousinard, Courier, Bourgeois, … Chacun à un secteur à couvrir pendant trois ou quatre mois. Le lieutenant Meusnier, chargé des vallées centrales du massif, est accompagné d’un guide et d’un muletier. Durant cette campagne, une vingtaine de sommets majeurs sont gravis : les Ecrins, l’Ailefroide, Neige Cordier, les Agneaux, le Sirac, les Rouies, le Jandri, …

Pourquoi tous ces travaux et découvertes ont été oubliés des différentes publications qui sont arrivées jusqu’à nous ? Pour la carte de Bourcet, la raison est simple et logique. Il avait ordre de dresser une carte afin de pouvoir contrer les assauts dans le cadre de la guerre des Alpes. Il s’agissait de facto d’un secret militaire, et il a été bien gardé. Pour la carte de l’état-major, c’est plus complexe. La carte était diffusée, rien n’était secret. Il semble d’ailleurs qu’au moins un des premiers alpinistes anglais de l’Alpine Club, Francis Fox Tuckett, savait que de nombreux sommets avaient été gravis par les officiers de l’état-major. Dans un de ses articles sur le Haut-Dauphiné paru en 1863 dans le journal de l’Alpine Club, il écrit : « MM. Bourgeois, Courier, Cousinard et Meusnier ont escaladé un grand nombre de très hauts sommets ». Et il poursuit que de telles ascensions sont le gage d’une grande précision de la carte au 1/40 000e. Whymper, un des ses confrères de l’Alpine Club, en avait eu connaissance. Nulle part dans ses écrits, Whymper dit avoir effectué la première ascension de la Barre des Ecrins. Il semble que se sont d’autres alpinistes, un peu plus tard, qui ont qualifié cette ascension de première. En se focalisant sur leurs collègues anglais, ces premiers alpinistes auraient ainsi oublié qu’avant eux, au cœur des Hautes-Alpes, des officiers chargés de dresser des cartes précises et fiables, avaient accompli de véritables exploits sportifs et techniques, s’en jamais chercher à s’en prévaloir.

Source : Dauphiné Libéré

La Meije ou le pic inaccessible

MeijeNordLa Meije est composée de trois principaux sommets. Le point culminant est le Grand Pic de la Meije (3984 mètres), le Doigt de Dieu ou Pic Central (3973 mètres) et la Meije Orientale (3891 mètres). Dans l’histoire de l’alpinisme, La Meije occupe une place particulière car ce fut un des derniers sommets majeurs des Alpes à être gravi, et la première ascension fut réalisée par un français alors que la plupart des autres grandes premières dans les Alpes furent réalisées par des alpinistes britanniques. Elle occupe ainsi une place de choix dans l’imaginaire des Alpinistes, on l’appelle parfois « La Reine Meije ».
Depuis 1832, et les mesures géodésiques du Capitaine Durand, on connaissait l’altitude exacte de ce sommet qui affichait 3984,6 mètres. C’est donc après la Barre et le Dôme de neige des Ecrins, le troisième sommet le plut haut du massif.
Le 22 juin 1864, un groupe de 5 alpinistes (Whymper, Moore, Walker, Croz, Almer) arrivant de Chamonix par le col de Martignare ont tout loisir d’admirer, durant la descente sur La Grave, la face nord de la Meije. Après une courte nuit passé à La Grave, il traverse pour la première fois la Brèche de la Meije et s’en vont faire trois jours plus tard la première ascension de la Barre des Ecrins. Lors de cette traversée, ils ont pu contempler cette Meije aussi bien par son versant nord que sud, imaginé un passage vers le sommet, mais ces parois de près de 1000 mètres de haut ont sans doute effrayé ces hommes pourtant considérés comme les meilleurs alpinistes de l’époque. Whymper déclarera d’ailleurs que ces murailles protège la Meije de toute tentative d’escalade et la rend inaccessible.
MeijeArêtesSix ans plus tard, c’est une femme (Miss Brevoort) qui va relancer l’idée de conquête. Elle parviendra à réaliser le 27 juin 1870, la première ascension du Pic Central (3973m) mais ne parviendra pas à traverser l’arête qui la sépare du Pic de la Meije. Arête que l’on peu comparer à une lame au fil acéré, comportant 4 dents alignés, dont chaque côté est un abime plus que vertigineux ; à pic rocheux côté sud et mur de glace d’une effroyable raideur côté nord. Deux ans plus, elle traversera la Brèche de la Meije et fera une tentative côté sud qui restera sans succès.
En 1873, c’est de nouveau un groupe de touriste anglais qui, sur les pas de Miss Brevoort, va tenter l’ascension par le nord. Comme Miss Brevoort, ils vont atteindre le Pic Central (seconde ascension) mais l’arête qui les sépare du Pic de la Meije leur semble impraticable et les impressionne eux aussi très fortement. Durant les trois années suivantes, cette Meije va encore résister aux assauts d’alpinistes de tous bords, anglais, suisses, italiens, français, …. A cette époque, la majorité des sommets Alpins est conquis et la résistance de ce sommet que l’on va parfois nommer « Cervin Dauphinois » va contribuer à sa notoriété mais aussi à sa perte car il va focaliser le désir des alpinistes de le conquérir.
MeijeSudC’est en septembre 1876 que H. Duhamel pense avoir trouver le point faible côté sud, il va escalader avec ses guides le promontoire qui donne un accès direct au Pic de la Meije, et vont renoncer sous un mur d’une dizaine de mètres, situé juste sous le glacier carré, qu’ils estiment infranchissable.
C’est un autre français, E. Boileau de Castelnau qui va suivre les traces de H. Duhamel. Le 4 août 1877, Boileau de Castelnau accompagné de Pierre Gaspard et son fils, suivent l’itinéraire de Duhamel et parviennent à franchir le mur jugé infranchissable par ce dernier. Mais compte tenu de l’heure tardive, ils ne peuvent poursuivre et regagne la Bérarde avec le sentiment que cette Meije est à leur portée. Boileau de Castelnau en fera part à Duhamel et lui demandera de participer à l’assaut final, mais ce dernier déclinera l’invitation, restant sans doute sur son idée d’inaccessibilité par cette voie.
Cette même cordée va donc repartir le 16 août 1877 et réussir l’exploit formidable de vaincre ce grand Pic de la Meije.


BoileauCette ascension a été contée par Boileau de Castelnau et publiée dans la revue du CAF (Club Alpin Français) de 1878 : « Encouragé par la persistance du beau temps et par l’état exceptionnellement bon de la neige au mois d’août 1877, je résolus de consacrer une quinzaine de jours à tenter l’ascension de la Meije.
La Meije avait repoussé depuis bien des années les assauts qui ne cessaient de lui être livrés. J’avais moi-même en 1875, été obligé, avec mon ami Duhamel, de battre en retraite après plusieurs tentatives infructueuses par le versant nord. Je n’avais toutefois pas encore perdu tout espoir d’atteindre le sommet. Le côté ouest (celui de la Brèche) et le côté nord (celui de la grave) devaient, à mon avis, être les plus abordables.
J’avais à mon service mes deux guides préférés, Gaspard père et fils, avec lesquels j’avais pendant les dernières années parcouru tout le massif du Pelvoux et fait un nombre considérable de courses nouvelles. Nous nous connaissions assez pour savoir ce dont chacun de nous était capable, et nous avions, ce qui est une des meilleures conditions du succès, une confiance réciproque en nous. J’étais en outre bien décidé à ne renoncer à ma tentative que lorsque j’aurais été convaincu par moi-même de l’impossibilité absolue de passer le point où je me verrais forcé de reculer.
Parti le 3 août de Saint-Christophe je remontai avec Gaspard père la vallée de la Selle ; nous traversâmes, au sud de la Tête-du-Replat, un nouveau col d’où nous descendîmes directement sur le Châtelleret au pied même de la Meije, à 2h1/2 au-dessus de la Bérarde (baromètre 2220 mètres). Le fils Gaspard, que j’avais envoyé par la vallée de la Bérarde chercher des vivres pour le lendemain, avait déjà fortifié la place en l’approvisionnant de comestibles variés. Nous devions passer la nuit à la belle étoile à l’abri de ce rocher, partir le lendemain matin avant le jour pour la Brèche, tenter la Meije de ce côté et descendre à la Grave.
Le lendemain 4 août, à 4 heures du matin, nous étions en route. A une faible distance du glacier, je priai Gaspard de me montrer le point qu’avait atteint M. Duhamel sur les rochers à pic et le chemin qu’il avait suivi. Trompé par la ressemblance des parois, il me désigna un point plus élevé et un peu plus à gauche que celui où mon ami était parvenu. Une hardiesse peut-être exagérée, une certaine confiance en moi-même, et l’entêtement qui me poussait en avant malgré ma conviction qu’il était dans l’erreur, me firent parier que j’atteindrais le petit glacier supérieur (glacier du Doigt), si M. Duhamel était vraiment arrivé au point qui m’était montré. Gaspard refusa d’abord de m’y conduire ; il n’était pas lui-même monté tout à fait jusqu’à ce point, me disait-il, et certes les guides de Chamonix qui accompagnaient M. Duhamel n’auraient pas rebroussé chemin s’ils avaient eu quelque espoir de se hisser jusqu’au glacier du Doigt. Après une longue discussion, je le décidai cependant à m’accompagner en lui promettant de ne pas tenter l’ascension de la Meije, et de n’essayer de gravir cette partie trop abrupte que pour examiner la montagne de plus près et vérifier par moi-même quel point avait atteint M. Duhamel.
Quand nous eûmes remonté la moitié environ du glacier des Etançons, nous laissâmes à notre gauche la route de la Brèche et nous arrivâmes bientôt au pied des premiers rochers de la Meije. Abandonnant en cet endroit appelé l’Epaule (baromètre 3075 mètres) la plus grande partie de nos provisions, après, bien entendu, les avoir fortement entamées, nous nous remettons en route à 9h50 min., suivant à peu près l’itinéraire de M. Duhamel. Les rochers sont escarpés, mais ils offrent des saillies nombreuses qui nous permettent d’avancer assez rapidement. C’est un granit rouge très résistant.
A 11h45 min., nous atteignons la pyramide construite par mon ami l’année précédente et qui nous indique le point où il a dû battre en retraite. Gaspard s’était trompé ; le point qu’il m’avait indiqué était plus élevé et inaccessible (baromètre 3460 mètres). En cherchant un peu, Gaspard trouve vers notre gauche une issue qui nous permet de nous élever encore d’une dizaine de mètres; puis nous sommes entièrement arrêtés. Le rocher change tout à fait de nature ; le granit fait place à un schiste plus ou moins pur qui est lisse et sur lequel les clous des chaussures n’ont aucune prise. Une paroi verticale de rochers, qui surplombe même à certains endroits, nous sépare du glacier du Doigt. La distance est d’environ 150 mètres. Après un examen attentif, nous reconnaissons que, si nous parvenons à franchir les 20 premiers mètres, le reste de la paroi sera relativement plus aisé à gravir. Gaspard, malgré sa hardiesse, refuse de tenter cette périlleuse escalade : il l’a dit impossible, et déclare qu’il ne s’y hasardera pas.
J’étais très étonné de son refus, mais je connaissais son expérience. Il était midi 50 minutes, la journée s’avançait et Gaspard paraissait décider à reculer devant cette difficuté en apparence insurmontable ; pour moi, je ne voulais pas revenir sur mes pas sans avoir fait tout ce qu’il était possible de faire pour atteindre un point plus élevé.
« Je vais essayer seul, » dis-je à Gaspard ! il s’efforça d’abord de me retenir ; puis voyant que je ne cédais pas à ses raisonnements : « Eh bien ! s’écria-t-il brusquement, vous ne vous casserez pas la tête seul ; puisque c’est votre intention, je ne vous quitterai pas ! » Pour être plus solide que cette roche glissante, nous ôtons nos souliers que nous abandonnons sur une pierre. « Nous monterons, puisque vous le voulez, mais nous ne descendrons plus, » ajoute Gaspard, en attaquant avec ardeur la paroi verticale.
Après plusieurs essais infructueux, nous finissons par hisser Gaspard sur un point où il ne peut nous prêter quelque secours pour nous aider à le rejoindre. Nous gravissons ainsi les 20 premiers mètres de la muraille, ceux précisément que nous avions crus infranchissables. Gaspard, pour ne pas perdre de temps, va seul en avant explorer la partie la plus accessible de cette terrible paroi. Il revient bientôt avec la certitude que nous avons franchi le plus mauvais passage pour atteindre le glacier du Doigt. Mais il était trop tard et nous n’étions pas organisés pour songer à monter plus haut. Le baromètre indiquait une hauteur de 3485 mètres. La descente de cette muraille si difficile à gravir se fit, malgré les appréhensions de Gaspard, très aisément au moyen d’une corde que nous scellâmes au-dessus de nous et à laquelle nous nous laissâmes glisser. Cette corde d’une dizaine de mètres environ, fut abandonnée de manière à rendre le passage plus praticable lorsque nous reviendrions tenter définitivement l’ascension.
Nous reprîmes nos chaussures avec satisfaction, après une séparation d’environ 50 minutes qui nous avait occasionné des blessures assez douloureuses aux pieds, puis nous redescendîmes à la Bérarde par la route que nous avions suivie à la montée. Nous n’avions jamais eu plus d’espoir de réussir dans notre tentative. Tous les alpinistes qui avaient examiné la montagne du côté des Etançons s’étaient accordés à penser qu’elle serait vaincue le jour où on aurait atteint le glacier du Doigt. Or, à moins de difficultés tout à fait imprévues, nous étions désormais presque certain de pouvoir atteindre ce petit glacier ; quant à la dernière partie de l’ascension, que nous avions examiné soigneusement avec notre lunette, elle ne nous paraissait pas aussi facile qu’on l’avait généralement pensé.
Notre intention était de nous reposer le lendemain et de livrer le surlendemain un assaut décisif à notre ennemie par la route que nous venions de découvrir. Cependant, redoutant un échec, nous nous gardâmes bien de rien dire à la Bérarde de nos projets et des résultats de cette première journée.
Le temps nous fut malheureusement bien peu propice les jours suivants. Deux fois nous allâmes coucher au Châtelleret et deux fois la tourmente nous en chassa. En outre, une indisposition me força à quitter la Bérarde pour retourner à Grenoble où le congrès du club alpin réunissait alors une foule considérable d’alpinistes. J’y tins mes projets secrets et je ne confiai mes espérances qu’à deux ou trois de mes amis, qui d’ailleurs eurent plutôt l’air de croire à une exaltation passagère de mon esprit qu’à l’accessibilité de la Meije.
Le 14 août, je me trouvais assez bien portant pour pouvoir, par une pluie battante, me rendre au Bourg-d’Oisans. Le 15, je me fis conduire en voiture à Vénosc, d’où je repartis aussitôt pour Saint-Christophe, Gaspard et son fils m’attendaient tous les jours avec impatience. Nous perdîmes trop de temps en préparatifs, aussi n’arrivâmes nous que de nuit à la Bérarde.
Désireux de nous décharger et craignant d’être arrêtés par quelque éperon de rochers qui nous obligeât à laisser l’un de nous en arrière pour nous tenir une corde, nous jugeâmes prudent d’engager un troisième guide. Notre choix tomba sur Jean-Baptiste Rodier, qui fut bientôt prêt à nous accompagner.
A 11 heures du soir, après avoir complété nos provisions, nous nous mettons tous quatre en marche. La nuit est noire et ce n’est pas sans nous être égarés plusieurs fois que, vers 2 heures du matin, nous arrivons, à la lueur de notre lanterne, au Châtelleret. Nous étions très chargés, car outre une grande quantité de vivre, nous emportions 100 mètres de corde.
Il était encore trop tôt pour continuer notre marche. Nous nous étendîmes autours d’un bon feu ; mes guides firent chauffer un de ces café que je n’apprécie pas beaucoup, car le solide y laisse trop peu de place au liquide.
A 4 heures 20 minutes, aux premières lueurs de l’aube, nous nous remettons en marche. A 7 heures 30 minutes, nous arrivons à l’Epaule de la Meije. Nous nous reposons 30 minutes après avoir traversé sans difficulté le glacier des Etançons. Attachés jusqu’alors à 4 mètres les uns des autres, nous doublons cette distance pour nous donner une plus grande liberté. D’ailleurs nous réduisons nos bagages à un seul sac et nous montons assez rapidement en suivant la route que nous avons déjà parcourue lors de notre première tentative.
A 9 heures 15 minutes, nous atteignons la pyramide de M. Duhamel, où nous nous arrêtons pour déjeuner. A 9 heures 25 minutes, nous reprenons l’ascension. La corde que nous avions dû abandonner nous permet de gravir plus facilement le passage que nous avions trouvé si dangereux. Le reste de la muraille nous offre pourtant d’assez sérieuses difficultés. Tous rendus solidaires par la corde qui nous attache, nous ne pouvons avancer que l’un après l’autre afin de ne pas nous trouver plusieurs à la fois dans une mauvaise position ; nous devons, en outre, perdre un temps considérable à hisser au moyen d’une petite corde les piolets qu’il nous faut à chaque instant détacher pour nous en servir.
Nous avancions avec une lenteur désespérante ; il fallait multiplier les précautions, car la paroi était toujours aussi verticale. A chaque instant, nous nous voyions forcés de revenir sur nos pas après nous être engagés dans un couloir dont nous ne pouvions plus sortir ; notre moral commencer à s’affecter. Il m’est impossible de décrire en détail les difficultés que nous eûmes à surmonter et la route que nous suivîmes pour escalader cette muraille haute de 150 mètres. Je constaterai seulement que, sans nous accorder une seule minute de repos, nous employâmes 2 heures 45 minutes pour parvenir au sommet, et pour atteindre le glacier du Doigt. Nous dûmes d’abord laisser ce glacier à notre droite afin d’en rejoindre la crête terminale à l’ouest. De cette crête, nous aperçûmes les champs et les maisons de la Grave. Pour gagner ensuite le glacier, il nous fallut rétrograder de quelques pas et nous laisser couler jusqu’au névé, où nous nous arrêtâmes 40 minutes pour déjeuner. Jean-Baptiste Rodier, le guide de la Bérarde, avait été jusqu’à ce point la principale cause de notre retard. Peu habitué à escalader des rochers aussi abrupts, il était non seulement hors d’état de nous prêter aucun secours, mais nous devions encore le hisser malgré lui en certains endroits où il ne pouvait nous suivre ; il augmentait ainsi les difficultés et le péril. Ne pouvant me passer de mon piolet pour la traversé du glacier, j’empruntai le sien à Rodier, qui ne continua pas l’ascension et qui dut attendre notre retour au point où nous l’abandonnâmes, à une altitude de 3620 mètres.
A midi 45 minutes, nous nous remettons en route tous trois, Gaspard, son fils et moi. Le glacier que nous allions traverser n’est nullement crevassé et présente une pente uniforme dans toute son étendue. Cette inclinaison, assez forte, il est vrai (45° environ), n’offrait pas un obstacle sérieux. Nous dûmes néanmoins tailler des marches pendant toute la traversé (45 minutes), avec un soin tout particulier vers la partie supérieure où nous rencontrâmes la glace vive. En arrivant à l’extrémité du glacier, nous nous trouvâmes au sommet d’un col d’où nous apercevions la vallée de la Grave vers la quelle descendait un couloir de glace vertical. Tournant alors à droite, nous gravissons sans difficulté et très rapidement les rochers du pic proprement dit de la Meije, en nous maintenant toujours sur le versant Sud de la montagne. Notre ennemie semblait vaincue lorsque, à une dizaine de mètres environ du sommet, un obstacle imprévu nous fit douter du succès. La montagne surplombait de tous les côtés. Nos efforts restent d’abord infructueux. Gaspard père tente le premier l’escalade ; il franchit trois ou quatre mètres. Arrivé à cette hauteur, il se trouve dans l’impossibilité d’avancer ou de retourner en arrière ; il nous crie de lui porter secours, ce que je parviens à faire en me hissant sur les épaules de son fils. J’arrivais à temps, car ses forces faiblissaient. J’essayais à mon tour, mais sans plus de succès : après moi, Gaspard fils parvint à atteindre un point plus élevé, mais il nous fit courir un si grand danger pour l’aider à redescendre que je voulus donner le signal de la retraite. Il s’était tellement épuisé en efforts qu’il était incapable à son retour de mouvoir aucun de ses membres et qu’il fondit en larmes, tant la concentration nerveuse avait était forte. Tous trois, pâles et tremblants, nous dûmes nous réconforter un instant. Le froid, assez vif, paralysait nos forces. Le temps s’était gâté depuis une heure. Les nuages, chassés par un vent violent qui risquait de nous faire dégringoler, nous enveloppaient à tous moments. Nous redescendîmes de quelques mètres, prêts à battre en retraite après être arrivés à 5 ou 6 mètres tout au plus du sommet, lorsque Gaspard, furieux de voir ses efforts impuissants, nous proposa de tourner le pic jusqu’à la face nord si cela était possible. Avec beaucoup de difficulté nous franchissons pour y arriver un très mauvais passage, mais cette fois le succès récompense notre persévérance et, à 3 heures 30 minutes, nous posons le pieds sur le sommet après avoir vainement tenté pendant 2 heures de gravir les derniers mètres. « Ce ne seront pas des guides étrangers qui arriveront les premiers, » s’écrie Gaspard dans l’exaltation du triomphe. Toutefois, ce qui lui fit le plus plaisir en atteignant le point culminant, ce fut d’y trouver des pierres pour y construire une pyramide. Durant l’ascension, il m’avait souvent exprimé ses craintes à ce sujet, me répétant toujours que l’on nierait, bien sûr, l’authenticité de notre course si le roc était nu.
Le sommet de la Meije, entièrement dépourvu de neige, forme une espèce d’arête très étroite dirigé de l’est à l’ouest. L’arête elle-même et la face nord sont en décomposition ; les rochers de la face sud reste au contraire très solides.
Pendant que Gaspard et son fils charriaient des pierres et construisaient au point culminant deux pyramides d’environ un mètre cinquante, je m’installai pour faire quelques observations à l’abri du vent, à deux ou trois mètres au-dessous d’eux, du côté de la Grave. Le thermomètre marquait deux degrés au-dessous de zéro. Le baromètre, correction faite, me donnait une altitude de 4000 mètres, ce qui ne différait que d’une dizaine de mètres avec la hauteur véritable. Les sommets voisins n’étaient pas visibles.
Le village de la Grave, situé au-dessous de nous, ne nous apparut que par moments, car les nuages nous entourèrent presque tout le temps que nous restâmes au sommet. Je pus pourtant, grâce à ma lunette, distinguer des membres du Club Alpin Français, qui se promenaient devant l’hôtel Juge.
C’était beaucoup d’être parvenu au point culminant ; mais il nous fallait en descendre ; cette idée n’avait rien d’agréable ni de rassurant. A 3 heures 55 minutes, nous nous remîmes en marche.
Les difficulté se présentaient aussi nombreuses qu’effrayantes. Le passage le plus rapproché du pic était infranchissable : nous dûmes fixer une des cordes à une pointe de rocher, puis nous laisser glisser le long de cette corde jusqu’à un ressaut qui nous permit de prendre pied. Ce ressaut ne se rencontra qu’à vingt mètres plus bas ; il nous fallut donc nous résigner à couper notre corde et à en abandonner un premier fragment. Ce mauvais pas franchi, nous descendîmes sans trop de peine jusqu’au glacier du Doigt ; mais, après avoir traversé le glacier où nous retrouvâmes Jean-Baptiste Rodier, et regagné la crête qui sépare le versant de la Grave et celui des Etançons, les difficultés reparurent, la corde devint encore une fois nécessaire, et un nouveau morceau de vingt mètres dut être abandonné, on devine avec quels regrets.
La nuit s’approchait, et ces rochers verticaux, déjà presque impraticables le jour, devenaient de plus en plus dangereux dans l’obscurité. Nous parvînmes cependant encore à franchir, presque sans y voir, deux ou trois passage très difficiles ; mais, arrivés à quinze ou vingt mètres seulement au dessus de la pyramide de M. Duhamel, nous nous trouvâmes arrêtés sur une corniche sans pouvoir y trouver le moindre passage, et nous dûmes nous résoudre à demeurer jusqu’au lendemain matin sur cet étroit palier de rocher. Un bloc, convenablement équilibré par le père Gaspard, nous servit de parapet et, pelotonnés sur nous-mêmes pour mieux résister au froid, nous nous préparâmes à une longue et terrible nuit.
De peur de nous voir enlever par le vent, nous reserrâmes la corde à laquelle nous étions attachés tous les quatre. Nous en passâmes une nouvelle autour de nos reins à l’aide d’un nœud coulant, de manière à nous enlacer. L’extrémité de cette corde fut scellée au moyen de nos piolets dans les rochers à quelques mètres plus haut. Ainsi suspendus dans un étroit espace où ne pouvions ni nous asseoir ni rester debout, nous attendîmes le jour, incapables de nous mouvoir, tant la place que nous occupions était limitée, nous eûmes à supporter un froid intense : la neige et le grêle qui ne tardèrent pas à tomber par rafales causèrent à nos membres engourdis de vives douleurs.
Vers 10 heures, un phénomène assez curieux de congélation se produisit sur nos vêtements : la neige, en tombant, fondait à la chaleur de notre corps, puis la température extérieure la transformait en glace ; ainsi nous était-il impossible de remuer les bras. Cette glace s’incrustait tellement dans nos habits que nous essayâmes en vain de nous en débarrasser avec nos couteaux. Bien entendu, aucun de nous ne songea à fermer l’œil durant toute la nuit. Gaspard ne me lâcha pas une minute ; nous restâmes enlacés à bras le corps ou à genoux tant que dura cette tempête. La solidité de la corde qui nous retenait été douteuse, et nous savions qu’au-dessous de nous s’ouvrait un vide profond de cinq cents ou six cents mètres. Du reste, aucun murmure ne sortit de nos lèvres : de temps à autre, une voie demandé l’heure ; à cette question personne ne pouvait répondre ; ou bien l’un de nous priait ces compagnons de le tenir à la corde pendant qu’il changeait de position, parce qu’il souffrait trop d’une crampe dans les jambes. Rien ne pouvait nous aider à supporter le vent et le froid. Nos provisions étaient depuis longtemps achevées ; notre dernière goutte d’eau-de-vie avait été équitablement partagée au commencement de la nuit. Gaspard fils voulut fumer, mais il se vit dans l’impossibilité de bourrer sa pipe, car ses mains lui refusaient tout service : mon thermomètre à minima, que j’avais fixé au commencement de la nuit un peu au-dessus de nous, me donna le matin une température de 11° au dessous de zéro.
Vers 2 heures, le temps devint moins affreux, le vent se calme et, après avoir attendu les premières lueurs du jour, Gaspard voulut, vers 4 heures du matin, continuer la descente. Ce premier effort fut très pénibles ; nous nous vîmes tous à peu près incapables de nous mouvoir et Gaspard nous donna l’ordre de nous accroupir de nouveau pour deux heures en nous serrant l’un contre l’autre. Nous nous frappions mutuellement pour tâcher de ramener la circulation dans nos membres à moitié gelés. Nous comptions sur le lever du soleil : ce fut la neige qui survînt.
A 6 heures, elle tombait en abondance et le vent soufflait en tourmente : il fallait partir et descendre à tout prix. Mais les rochers couverts de grêle et de verglas n’offraient aucune prise, et pour la troisième fois il nous fallut recourir à la corde pour atteindre la pyramide.
« Ce passage fut le dernier qui nous donna de l’ennui », écrivait Gaspard père dans le simple et modeste récit qu’il avait adressé à la Direction centrale dans la crainte que mes occupations militaires ne me permissent pas de raconter moi-même l’ascension. « Le reste de la descente fut facile. En passant devant la pierre de M. Duhamel, nous lui souhaitâmes un gros bonjour, et nous reprîmes la route habituelle. »
« Le temps ne s’améliorait pas. Toutefois, près des rochers, la vue de notre cher sac de voyage que nous y avions laissé la veille nous causa une vive émotion de joie. Nous descendîmes au pas de gymnastique jusqu’au Châtelleret et, arrivés à 9 heures à notre bel hôtel de la veille, nous fîmes un bon feu sous les rochers à l’abri de la pluie, et nous mangeâmes avec un terrible appétit . »
Gaspard-père_et_filsCe repas terminé, nous regagnâmes la Bérarde, par une pluie battante ; il était midi lorsque nous eûmes le bonheur d’y renter.
Exténué par la fatigue et la privation de sommeil, je n’eu rien de plus pressé que de me coucher immédiatement. On me laissa dormir seize heures de suite. Quand je me réveillai, je me trouvai encore insuffisamment reposé. Le lendemain 18 août, je traversai le col de la Temple pour rejoindre mes collègues qui inauguraient le Refuge Cézanne. »


Cette première ascension du Grand Pic de la Meije en 1877 a été une véritable épopée, sans doute quelque peu romancée dans le récit de M. Castelnau, mais il est indéniable que celle-ci a joué un rôle majeur dans l’histoire de l’alpinisme français.
Comme pour toute conquête, certains personnages sont mis en avant et d’autres sont éclipsés. C’est le cas pour le père Gaspard qui portera pour la postérité l’aura de cette ascension. Exit les Jean-Baptiste Rodier, abandonné sur le glacier Carré; le fils Gaspard, qui a pourtant eu le mérite de surmonter en tête de cordée les dernières défenses du Grand Pic; Emmanuel Boileau de Castelnau qui a aussi joué un rôle essentiel en motivant et stimulant les autres notamment lorsque Gaspard père a voulu faire demi-tour dans la première partie de l’ascension et qu’il s’est engagé seul. Plus d’un siècle après cette ascension, on associe encore aujourd’hui cette première au père Gaspard, ne dit on pas « Gaspard de la Meije » !
La traversée des arêtes sera réalisée 8 ans plus tard en 1885.

Sources
La Meije par Henry Isselin, édition Arthaud
Gaspard de la Meije par Roger Canac, édition Presses universitaires de Grenoble
http://chaps.canalblog.com/albums/gaspard/index.html

Conquérant de l’Oisans sauvage: Capitaine Adrien Durand

escalades_alpes_whymper_1872_pelvoux_mont-dauphinLe nom de Pelvoux vient de l’occitan « pelvo », qui signifie haute montagne. Longtemps considéré comme le plus haut sommet du massif et de toutes les Alpes Françaises (avant l’annexion de la Savoie), le Pelvoux est une immense montagne de neige et de roc, un véritable massif à lui tout seul. C’est parce que, de la vallée de la Durance, sa masse imposante cache une bonne partie du massif des Ecrins, que le Pelvoux était pris pour la plus haute montagne de la région, et cela explique aussi pourquoi il a longtemps donné son nom au massif tout entier. Il comprend quatre sommets assez individualisés :

  • la Pointe Puiseux (3 946 m, point culminant)
  • la Pointe Durand (3 932 m)
  • le Petit Pelvoux (3 753 m)
  • les Trois Dents du Pelvoux (3 682 m)

La première ascension fut effectuée en 1828 par le capitaine Adrien Durand, Alexis Liotard et Jacques-Étienne Matheoud (chasseurs de Chamois). Il est probable qu’ils soient également montés à la pointe Puiseux mais le capitaine Durand n’en fait pas mention. On lui attribue donc que la première à la pointe Durand. C’est la s[econde ascension, réalisée en 1848 par Victor Puiseux et le guide Barnéoud, qui donnera son nom au point culminant.

Mais qui était donc ce capitaine Durand qui osa conquérir cette montagne à une époque ou l’ascension d’un sommet de 4000 mètres représentait un exploit exceptionnel et pourquoi son nom n’est il pas associé au sommet principal ? C’est ce que je vais vous conter …

illustrations_passes_alps_varsAu début du XIXe siècle, certain territoire restait très mal connu, notamment les régions montagneuses. A cette époque, on ne connaissait pas avec certitude le point culminant de la France (suite aux traités de Vienne (1815), la Savoie et le Mont Blanc n’en faisaient plus partis), on le situait dans les Alpes Dauphinoises et il était admis que cette suprématie revenait au Pelvoux. La carte de Cassini, établie vers 1750 devenait insuffisante, et en 1818, pour des besoins militaires, il a été décidé de lever une nouvelle carte.

L’élaboration de cette nouvelle carte se fera au travers de triangulations, et c’est au capitaine Durand, du corps des ingénieurs géographes, polytechnicien, spécialisé en géodésie et triangulation, que va revenir, en 1823, le lourd honneur de trianguler le sud-est de la France. Le voile d’incertitude qui couvre encore les Alpes Dauphinoise va être levé par cet homme apprécié pour son travail technique mais pas pour son franc-parler.

Il va ainsi passer plusieurs années de sa vie à son devoir de géodésie, labeur harassant jamais reconnu à sa juste valeur par sa hiérarchie. Les bureaux de Paris ne discerneront jamais très bien qu’il est plus difficile d’opérer sur un sommet de 3000 mètres que sur les collines du Poitou. De cette incompréhension résulteront des programmes trop lourds. Il finira épuisé, et s’éteindra en 1835, à 48 ans, usé par la folie, sans avoir pu accéder aux grades supérieurs que semblaient lui promettre ses travaux. Ses comptes-rendus trop laconiques et factuels n’ont jamais mis en avant son opiniâtreté, sa persévérance et les souffrances qu’ont nécessitées ses travaux.

Ainsi la rumeur attribuait, en ce début de XIXe siècle, au Pelvoux la suprématie de l’altitude. Le capitaine Durand décide donc, d’inclure le Pelvoux dans la liste des sommets à gravir pour réaliser ses triangulations. Ce choix témoigne d’une incontestable audace et caractérise un homme d’une trempe exceptionnel, en effet, se lancer à l’assaut d’un tel sommet à cette époque relève de l’exploit.

escalades_alpes_whymper_1872_pelvoux_IC’est donc tout simplement pour son travail, que notre homme va réaliser cette ascension. En 1828, il entre en Vallouise avec l’intention de recruter deux « guides » afin de le conduire au sommet du Pelvoux. Le choix s’est porté sur ce sommet après qu’il eut envisagé de gravir la Meidge (Meije) qu’il a estimé trop excentrée, puis après avoir écarté la Pointe des Arcines (Barre des Ecrins) de ses projets car il la jugeait peu propice à l’établissement d’un campement, la construction d’un signal et l’installation du théodolite.

C’est donc avec deux chasseurs de chamois, Alexis Liotard et Jacques-Étienne Matheoud, qu’il se lance le 30 juillet 1828 à l’assaut du sommet. Cette ascension sera réalisée au départ du vallon de Celse Nière, puis l’itinéraire gravi les rochers et pentes de neige raides le long du glacier du Clos de l’Homme qui donnent accès au plateau sommital du Pelvoux. Ils y découvrent deux pointes, l’une dépassant l’autre d’une dizaine de mètres, et décide de construire le signal sur la plus basse, sans doute plus propice à son édification. Cet édifice sera construit quelques jours plus tard, ou il remontera au sommet avec une dizaine de porteur et s’attachera à mesurer l’altitude précise du signal depuis les sommets alentours. Ces signaux étaient d’immenses cairns creux agrémentés d’ouvertures, dans lesquels on pouvait placer le théodolite et viser d’autres sommets. Ils servaient de mire, de sommets en sommets, afin d’en déterminer l’altitude par triangulation. C’est aussi lors de cette ascension, qu’il découvre à quelques kilomètres un sommet à coup sûr plus haut que le Pelvoux, la Barre des Ecrins.

Deux ans plus tard, le Capitaine Durand remonte au Pelvoux, du 6 au 9 août, afin d’effectuer des mesures. En plus de l’ascension, il faut voir que ces hommes, contrairement aux Alpinistes, qui une fois le sommet atteint se livrent à la contemplation, se mettaient au travail. Il fallait installer le théodolite, et ce ne devait pas être facile de caler un tel instrument sur des blocs branlants, puis effectuer les mesures d’angles tout cela à 4000 mètres.

Ses travaux et calculs achevés, il pu livrer les altitudes des principaux sommets du Haut Dauphiné, les plus élevés du territoire Français : 3937,59 m au grand signal du Pelvoux, 3984,6 m à la Meidge et 4105,1 m à la pointe des Arcines dite des Ecrins et établit de manière irréfutable le statut de plus haute cime à la Barre des Ecrins. Chose dont il était lui même convaincu depuis qu’il s’était rendu au sommet du Mont Ventoux quelques années auparavant, par une journée suffisamment claire pour distinguer les pics enneigés du Haut Dauphiné.

peaks_passes_glaciers_II_carteLa postérité ne gardera de lui que ces chiffres. Le bilan de cette vie trop brève nous a été livré par un historiographe « Né aux gorges du Tarn, il avait voulu y revenir ; puis, saisi par la montagne, il s’était épris définitivement, à sa manière : sept campagnes qui mises à la suite représentent quatre ans pleins, cinquante sommets tous gravis deux fois, même trois (le Pelvoux), et non seulement gravis, mais habités ; deux cents nuits à côté des signaux, la fatigue jusqu’à la mort. Son but ? D’un seul acte longuement et passionnément poursuivi, jeter comme un colossal épervier l’invisible réseau de ses triangles, et y prendre les Alpes … »

Vingt ans après la première ascension du Pelvoux, voici qu’un voyageur arrive en Vallouise. Il s’appelle Victor Puiseux. C’est un Alpiniste et aussi un des membres fondateurs du CAF (Club Alpin Français). A la vue du grand Pelvoux, il est carrément envouté. Il se renseigne sur son histoire et apprend les faits d’armes du capitaine Durand. L’un des guides de 1830, Pierre-Antoine Barnéoud âgé de 64 ans, l’accompagne mais stoppera sous les Rochers Rouges et Puiseux terminera l’ascension en solitaire. La narration qu’il fera de son ascension laisse penser qu’il a bien foulé le point culminant auquel la postérité donnera son nom, que le signal géodésien érigé par le capitaine Durand était encore en bon état et qu’il a distingué un sommet plus élevé que le Pelvoux, chose qu’il semblait ignorer.

Le nom de Puiseux, second ascensionniste, sera associé au sommet le plus élevé (3946m) alors que celui de Durand ne le sera qu’au second (3932m). Tout cela parce que le capitaine Durand à choisi sa construction sur le second sommet et qu’il n’aurait pas foulé le sommet principal différent de 14 m d’altitude ! Le capitaine Durand n’était pas homme de lettres mais homme de chiffres et il semble difficile de croire qu’au travers de ses trois ascensions, il n’ait pas foulé le sommet principal et ce malgré l’insinuation de Puiseux qui au travers de son propos laisse planer le doute sur la non ascension du sommet principal par le capitaine Durand. Il parait si évident lorsque l’on est sur ce plateau sommital du Pelvoux, à plus de 3800m d’altitude, qu’il faille aller faire un tour au véritable sommet, que ni Durand ni Puiseux n’en ont parlé. Durand s’attarde sur le sommet rocheux car il y a fait toutes ses mesures, Puiseux car il a eu la curiosité de s’y rendre pour voir le signal, la « pyramide » de Durand. Le sommet principal, lui, est incontournable et ne nécessite aucun commentaire.

Sources :
https://fr.wikipedia.org
http://www.escalade-aventure.com
http://www.bibliotheque-dauphinoise.com/index.html
Durand du Pelvoux, par Roger Canac, De Borée Editions.
Balaitous et Pelvoux, Par Henri Béraldi, Rando Editions.
La saga des Ecrins  par François Labande, édition Guerin
La Barre des Ecrins par Henri Isselin, Arthaud

Conquérant de l’Oisans sauvage: Maurice Fourastier

Ce nom figure dans plusieurs itinéraires de grandes envergures, face nord de la Meije, du Vallon des Etages, de l’Etret, du Pelvoux, de l’Ailefroide, du Râteau, …

Né en Algérie en 1901, c’est un personnage brillant dès sa jeunesse. Il est à la fois doué pour le sport avec de fortes capacités athlétiques et pour les études, il est directeur d’école à 23 ans.

En été 1931, il débarque à Vénosc en parfait touriste avec toute sa famille et côtoie les alpinistes locaux qui lui donnent sans doute cette envie de conquérir les cimes (ce n’est cependant pas un novice, il a déjà réalisé des ascensions dans les Pyrénées). Coutumier de l’Oisans dès l’année suivante, il réalise plusieurs courses classiques. Sa progression va être extrêmement rapide et il va effectuer entre 1933 et 1938 bon nombre de premières et pas des moindres.

Dès 1933, c’est en face nord de la Meije qu’il officie avec Casimir Rodier en réalisant la première ascension par le couloir en Z. Itinéraire mixte très difficile de 750 m ou se mêle rocher et glace. Même si cette voie s’échappe de la face nord en sortant à la Brèche du glacier Carré, elle reste une ligne évidente qui utilise au mieux le terrain. Il faudra attendre 1947 pour que soit réalisé la sortie directe du Z puis 1962 pour la directe à la Meije.

Jusqu’en  1939, il va explorer de nombreux secteurs du massif avec de très belles réussites.

Arête ouest des Fétoules en 1934 avec Henry Le Breton. Cette même année, il rate avec le même compagnon de cordée la directe sud au Grand Pic de la Meije et ce pour une dispute ridicule qui les stoppe à proximité des vires du glacier Carré. Il faut dire que le personnage est haut en couleur avec un caractère affirmé, expansif, le verbe sonore, c’est le chef …

En 1935, face nord de la pointe du Vallon des Etages réalisée avec Maurice Laloue et H. Le Breton puis le couloir nord-est de l’Etret avec H. Le Breton et Alexandre Manhès. Deux itinéraires très difficiles tracés sur des parois austères et situés dans le sauvage Vallon des Etages.

Trois grandes premières en 1936 avec la découverte du glacier noir et de ces versants nord. Eperon nord-ouest du Pic du Coup de Sabre le 30 juillet avec H. Le Breton, arête nord de la Pointe Puiseux avec A. Manhès en deux jours les 22 et 23 août et enfin face nord de l’Ailefroide Centrale le 1er septembre avec H. Le Breton et A. Manhès. Premier itinéraire ouvert dans le versant du glacier noir de l’Ailefroide. Ce sommet porte aujourd’hui le nom de pointe Fourastier.

En 1937, face nord de l’Aiguille du Plat de la Selle et arête ouest-nord-ouest du Pic Maître. Cette même année, il rencontre Andéol Madier de Champvermeil et réalise début septembre la directe en face sud de la Dibona.

L’année suivante, encore une première à l’arête ouest des Aigles puis il réalise avec A. Madier une course majeure dans la sévère face nord du Râteau les 18 et 19 août 1938. Il faut noter que les deux compères avaient échoués à 150 mètres du sommet vingt jours auparavant, signe de la force de ces hommes capables de s’aventurer dans ces terribles faces nord qui nécessitent non seulement d’être un excellent alpiniste capable d’évoluer sur des terrains glacés et sur rocher délité mais aussi une volonté à toute épreuve !

On peut rajouter le parcours des arêtes de la Muzelle, une nord-ouest à l’Olan et aussi des excursions dans le massif du Mont Blanc avec la face nord des Grandes Jorasses, la face nord des Droites, …

En 1939, la guerre et la mort de son camarade A. Madier à la Dibona mettent fin au projet d’expédition dans l’Himalaya qui aurait été conduite par Maurice Fourastier.

Comme beaucoup d’homme, il part au front. Démobilisé en 1940, il explore en tous sens le massif de Djurdjura en Algérie, fait nombre de premières, participe à la construction de refuges, trace des sentiers, crée des écoles d’escalade, …

1942, les troupes alliées débarquent en Algérie. Il crée avec le Général de Montsabert  les « Corps Francs d’Afrique ». Capitaine d’une compagnie de commandos de choc, il se distingue avec ses hommes en Tunisie en 43 et est cité plusieurs fois à l’ordre de l’Armée. Il débarque en Italie fin 43. Début 44, alors qu’il conduit son détachement, il est salement touché à la jambe et échappera de peu à l’amputation. A force de courage et de volonté, il remarche avec des béquilles en 1947 et miracle, en 1951, il reprend le piolet. La haute montagne ne lui permet plus l’exploit mais il réalise néanmoins encore une première à l’arête sud de la Pointe Brevoort en 1954 avec Paul Keller.

Parallèlement, il réalise un grand projet qui le tient à cœur avec la création d’une école technique professionnelle à Notre Dame d’Afrique sur les hauteurs d’Alger.

Le 19 octobre 1961, l’année de sa retraite, il parcourt avec son ami Henry Le Breton les arêtes de St Robert dans les Alpes Maritimes. On les retrouve tous les deux encordées, corps brisées au pied de la paroi. Ils seront ensevelis ensemble au cimetière de St Martin de Vésubie.

Encore aujourd’hui, ses ouvertures forcent le respect par le courage qu’il fallait pour partir à la conquête de ces faces austères. Un homme d’exception passionné d’Oisans sauvage …

Sources :
www.piedsnoirs-aujourd’hui.com
Oisans nouveau, Oisans sauvage livre ouest de JM. Cambon
Les 100 plus belles du massif des Ecrins de G. Rebuffat