Loin de moi l’idée de faire une liste exhaustive et fortement argumentée sur ce sujet, mais il est important de rappeler (l’histoire du Chambon et du Granier viennent de le montrer) que les écroulements en montagne sont des phénomènes normaux. Il y en a eu , il y en a et il y en aura encore ! Malheureusement, date et lieu des prochains restent inconnus ! Faut il s’attendre à une augmentation de ces phénomènes qui jusque dans les années 2000 étaient considérés comme normaux. La fonte du permafrost semble indiquer un accroissement de ceux-ci, mais difficile d’en donner l’ampleur.
Dans le massif des Ecrins, ces phénomènes sont étudiés depuis plusieurs années. Par écroulement, on entend toute chute soudaine d’une masse rocheuse d’un volume supérieur à plusieurs milliers de mètres cubes, ce qui les distinguent des éboulements, chutes de blocs, pierres, …. 4 zones côté Vénéon sont particulièrement intéressantes, car on peut encore y voir les stigmates.
Le Vallon du Lauvitel
Monstrueux écroulement supérieur au million de mètres cubes. La datation est très ancienne, sans doute plusieurs siècles. C’est tout un pan (600m de haut et 500m de large) du versant de l’arête Est du Rochaille qui s’est décroché. Certains blocs, gros comme des maisons, sont descendus à 3 km de là, jusqu’au village de la Danchère. Tous le chaos d’énormes blocs soutenant le Lac nous rappellent qu’un truc énorme s’est passé ici !
Le secteur du Plan du Lac
Cette zone a subi plusieurs événements notables dont au moins cinq sont recensés. Le dernier en 1908 venant du Cloutet avec plus de 25000 mètres cubes. La création du Lac n’est pas glaciaire mais liée à ces phénomènes.
L’écroulement du clocher des Ecrins
Durant l’hiver 1931-1932, le Clocher s’est écroulé sur le versant nord et le glacier de Bonne-Pierre. La découverte du phénomène ne date que du printemps 1932 et aucune information précise n’existe (date, météo, …). Néanmoins, l’étude photographique montre que l’écroulement a été important. C’est une bande rocheuse d’une quarantaine de mètres de longueur qui est tombée et le sommet a perdu une dizaine de mètres. Aujourd’hui subsistent trois aiguilles ruinées.
La face Sud de la Meije
Les principaux écroulements ont eu lieu dans sa partie supérieure. L’écroulement de 1916 modifia l’aspect du Doigt de Dieu mais peu d’indications à ce sujet. L’écroulement le plus célèbre, car il augmenta les difficultés d’ascension (traversée) des arêtes de la Meije, est celui du 15 mai 1964. La brèche Zsigmondy s’effondra dans le couloir sud et les débris furent projetés très loin, à proximité du Châtelleret, distant de 3 km. Cet écroulement provoqua un abaissement de la brèche de l’ordre de 20 mètres et son volume peut être estimé à 10000 mètres cubes.
Moins célèbre, mais plus important, fut l’écroulement de la Meije orientale le 2 septembre 1969. La bande de neige qui coupe la face Sud, joua le rôle de tremplin et les rochers sont allés très loin de la base de la paroi, certains ont été retrouvés vers le Châtelleret. Le volume concerné par le mouvement et sa dynamique ne fut pas évalué à l’époque.
Enfin, l’écroulement d’août 1982 qui s’est produit au même endroit. C’est tout un pan de montagne qui a été arraché. Les clichés pris du promontoire lors de l’écroulement montrent que, une fois encore, la bande de neige joua le rôle de tremplin, la partie inférieure se trouvant ainsi à l’abri. La masse écroulée est d’environ 30000 mètres cubes.
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A qui attribuer la première ascension des Ecrins ?
A qui attribuer cette première? A Whymper le 25 juin 1864 ou à Meusnier durant l’été 1853? Des chercheurs mettent en lumière des ascensions oubliées, réalisées bien avant les « premières » entrées dans l’histoire de l’alpinisme.
La carte générale de France, plus connue sous le nom de carte de l’état-major, est un immense chantier réalisé par des officiers géographes, puis des officiers de l’état-major, entre 1818 et la fin des années 1860. Ils commencent par trianguler les méridiens et les parallèles, puis ils remplissent les blancs de ce canevas par des triangulations plus fines. Le capitaine Durand (voir article sous l’onglet « Edito ») a participé à ces travaux. Dans un courrier rédigé à Vallouise, fin juillet 1828, il écrit qu’il a terminé sa reconnaissance entamée 10 jours auparavant, et qu’il va installer son signal au Pelvoux. En 1830, depuis le sommet du Pelvoux, il procède à ces mesures. En Ubaye, c’est le grand Rubren qui est ascensionné par le capitaine Loreille, en 1823. Puis vient la dernière étape de cette triangulation. Elle consiste à prendre des mesures à l’intérieur des triangles précédents pour affiner le maillage. Dans les Hautes-Alpes, elle a lieu entre 1851 et 1853. C’est le capitaine Davout qui en est chargé. A cette occasion, il réalise la deuxième ascension connue de l’Aiguille Centrale d’Arves et, très probablement celle du Bonvoisin. Pour les derniers travaux de triangulation et de cartographie, de jeunes officiers sont envoyés dans le massif durant l’été 1853 : le lieutenant Meusnier, les capitaines Cousinard, Courier, Bourgeois, … Chacun à un secteur à couvrir pendant trois ou quatre mois. Le lieutenant Meusnier, chargé des vallées centrales du massif, est accompagné d’un guide et d’un muletier. Durant cette campagne, une vingtaine de sommets majeurs sont gravis : les Ecrins, l’Ailefroide, Neige Cordier, les Agneaux, le Sirac, les Rouies, le Jandri, …
Pourquoi tous ces travaux et découvertes ont été oubliés des différentes publications qui sont arrivées jusqu’à nous ? Pour la carte de Bourcet, la raison est simple et logique. Il avait ordre de dresser une carte afin de pouvoir contrer les assauts dans le cadre de la guerre des Alpes. Il s’agissait de facto d’un secret militaire, et il a été bien gardé. Pour la carte de l’état-major, c’est plus complexe. La carte était diffusée, rien n’était secret. Il semble d’ailleurs qu’au moins un des premiers alpinistes anglais de l’Alpine Club, Francis Fox Tuckett, savait que de nombreux sommets avaient été gravis par les officiers de l’état-major. Dans un de ses articles sur le Haut-Dauphiné paru en 1863 dans le journal de l’Alpine Club, il écrit : « MM. Bourgeois, Courier, Cousinard et Meusnier ont escaladé un grand nombre de très hauts sommets ». Et il poursuit que de telles ascensions sont le gage d’une grande précision de la carte au 1/40 000e. Whymper, un des ses confrères de l’Alpine Club, en avait eu connaissance. Nulle part dans ses écrits, Whymper dit avoir effectué la première ascension de la Barre des Ecrins. Il semble que se sont d’autres alpinistes, un peu plus tard, qui ont qualifié cette ascension de première. En se focalisant sur leurs collègues anglais, ces premiers alpinistes auraient ainsi oublié qu’avant eux, au cœur des Hautes-Alpes, des officiers chargés de dresser des cartes précises et fiables, avaient accompli de véritables exploits sportifs et techniques, s’en jamais chercher à s’en prévaloir.
Source : Dauphiné Libéré
Loup, y es-tu ?
En France, l’espèce avait disparu dans les années 1930. Depuis les années 1990, il revient suite à une recolonisation par étape de l’Italie depuis le massif des Abruzzes. Aujourd’hui, la France compterait plus de 300 individus. Le taux de croissance de l’espèce, de l’ordre de 16% par an, a comme conséquence la colonisation de nouveaux territoires. En 2015, on dénombre 42 zones ou sa présence est permanente.
Depuis 1993, les loups sont une espèce protégée et leur régulation est strictement encadrée par l’état. Le plan d’encadrement prévoit que 24 loups peuvent être tués chaque année. Ces tirs doivent être menés par des agents de l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage), assistés de lieutenants de louveterie, et avoir lieu seulement si les tirs d’effarouchement et de défense ont échoué. Pour la période 2014-2015, dix-neuf loups ont été tués.
Dans la zone Ecrins et périphérie, on estime la population à une trentaine d’individus avec une présence avérée dans le massif du Béal-Traversier. Depuis 4 hivers, des indices de sa présence sont aussi trouvés entre l’Argentière-la-Bessée et Châteauroux-les-Alpes. Par contre, le secteur géographique autour de Vallouise, vient d’être retiré de la liste des ZPP (Zones de Présence Permanente) du loup en France. C’est le seul endroit en France où la présence du loup était encore avérée en 2014, et ne l’est plus cette année !
Les nombreuses attaques de troupeaux relevées durant l’été 2015 sur les Hautes-Alpes, ont fortement mobilisé les éleveurs qui ont obtenu gain de cause auprès du préfet. Le nombre de loups susceptible d’être tués a été porté de six à huit. Le territoire sur lequel ils peuvent être prélevés est notamment étendu au Briançonnais, Guillestrois et Queyras. Les éleveurs touchés par ces attaques n’ont pas sollicité de tirs de défense, préalable obligatoire à des tirs de prélèvement. Le loup peut désormais être chassé dans 38 communes des Hautes-Alpes. Le parc national des Ecrins en est exclu.
Sources:
http://www.observatoireduloup.fr/index.html
http://www.lemedia05.com/2014/9725/300-loups-en-france-mais-combien-dans-les-hautes-alpes/
http://www.dici.fr/actu/2015/08/28/hautes-alpes-secteur-ecrins-vallouise-retire-de-liste-zpp-zones-de-presence-permanente-loup-636233
La Meije ou le pic inaccessible
La Meije est composée de trois principaux sommets. Le point culminant est le Grand Pic de la Meije (3984 mètres), le Doigt de Dieu ou Pic Central (3973 mètres) et la Meije Orientale (3891 mètres). Dans l’histoire de l’alpinisme, La Meije occupe une place particulière car ce fut un des derniers sommets majeurs des Alpes à être gravi, et la première ascension fut réalisée par un français alors que la plupart des autres grandes premières dans les Alpes furent réalisées par des alpinistes britanniques. Elle occupe ainsi une place de choix dans l’imaginaire des Alpinistes, on l’appelle parfois « La Reine Meije ».
Depuis 1832, et les mesures géodésiques du Capitaine Durand, on connaissait l’altitude exacte de ce sommet qui affichait 3984,6 mètres. C’est donc après la Barre et le Dôme de neige des Ecrins, le troisième sommet le plut haut du massif.
Le 22 juin 1864, un groupe de 5 alpinistes (Whymper, Moore, Walker, Croz, Almer) arrivant de Chamonix par le col de Martignare ont tout loisir d’admirer, durant la descente sur La Grave, la face nord de la Meije. Après une courte nuit passé à La Grave, il traverse pour la première fois la Brèche de la Meije et s’en vont faire trois jours plus tard la première ascension de la Barre des Ecrins. Lors de cette traversée, ils ont pu contempler cette Meije aussi bien par son versant nord que sud, imaginé un passage vers le sommet, mais ces parois de près de 1000 mètres de haut ont sans doute effrayé ces hommes pourtant considérés comme les meilleurs alpinistes de l’époque. Whymper déclarera d’ailleurs que ces murailles protège la Meije de toute tentative d’escalade et la rend inaccessible.
Six ans plus tard, c’est une femme (Miss Brevoort) qui va relancer l’idée de conquête. Elle parviendra à réaliser le 27 juin 1870, la première ascension du Pic Central (3973m) mais ne parviendra pas à traverser l’arête qui la sépare du Pic de la Meije. Arête que l’on peu comparer à une lame au fil acéré, comportant 4 dents alignés, dont chaque côté est un abime plus que vertigineux ; à pic rocheux côté sud et mur de glace d’une effroyable raideur côté nord. Deux ans plus, elle traversera la Brèche de la Meije et fera une tentative côté sud qui restera sans succès.
En 1873, c’est de nouveau un groupe de touriste anglais qui, sur les pas de Miss Brevoort, va tenter l’ascension par le nord. Comme Miss Brevoort, ils vont atteindre le Pic Central (seconde ascension) mais l’arête qui les sépare du Pic de la Meije leur semble impraticable et les impressionne eux aussi très fortement. Durant les trois années suivantes, cette Meije va encore résister aux assauts d’alpinistes de tous bords, anglais, suisses, italiens, français, …. A cette époque, la majorité des sommets Alpins est conquis et la résistance de ce sommet que l’on va parfois nommer « Cervin Dauphinois » va contribuer à sa notoriété mais aussi à sa perte car il va focaliser le désir des alpinistes de le conquérir.
C’est en septembre 1876 que H. Duhamel pense avoir trouver le point faible côté sud, il va escalader avec ses guides le promontoire qui donne un accès direct au Pic de la Meije, et vont renoncer sous un mur d’une dizaine de mètres, situé juste sous le glacier carré, qu’ils estiment infranchissable.
C’est un autre français, E. Boileau de Castelnau qui va suivre les traces de H. Duhamel. Le 4 août 1877, Boileau de Castelnau accompagné de Pierre Gaspard et son fils, suivent l’itinéraire de Duhamel et parviennent à franchir le mur jugé infranchissable par ce dernier. Mais compte tenu de l’heure tardive, ils ne peuvent poursuivre et regagne la Bérarde avec le sentiment que cette Meije est à leur portée. Boileau de Castelnau en fera part à Duhamel et lui demandera de participer à l’assaut final, mais ce dernier déclinera l’invitation, restant sans doute sur son idée d’inaccessibilité par cette voie.
Cette même cordée va donc repartir le 16 août 1877 et réussir l’exploit formidable de vaincre ce grand Pic de la Meije.
Cette ascension a été contée par Boileau de Castelnau et publiée dans la revue du CAF (Club Alpin Français) de 1878 : « Encouragé par la persistance du beau temps et par l’état exceptionnellement bon de la neige au mois d’août 1877, je résolus de consacrer une quinzaine de jours à tenter l’ascension de la Meije.
La Meije avait repoussé depuis bien des années les assauts qui ne cessaient de lui être livrés. J’avais moi-même en 1875, été obligé, avec mon ami Duhamel, de battre en retraite après plusieurs tentatives infructueuses par le versant nord. Je n’avais toutefois pas encore perdu tout espoir d’atteindre le sommet. Le côté ouest (celui de la Brèche) et le côté nord (celui de la grave) devaient, à mon avis, être les plus abordables.
J’avais à mon service mes deux guides préférés, Gaspard père et fils, avec lesquels j’avais pendant les dernières années parcouru tout le massif du Pelvoux et fait un nombre considérable de courses nouvelles. Nous nous connaissions assez pour savoir ce dont chacun de nous était capable, et nous avions, ce qui est une des meilleures conditions du succès, une confiance réciproque en nous. J’étais en outre bien décidé à ne renoncer à ma tentative que lorsque j’aurais été convaincu par moi-même de l’impossibilité absolue de passer le point où je me verrais forcé de reculer.
Parti le 3 août de Saint-Christophe je remontai avec Gaspard père la vallée de la Selle ; nous traversâmes, au sud de la Tête-du-Replat, un nouveau col d’où nous descendîmes directement sur le Châtelleret au pied même de la Meije, à 2h1/2 au-dessus de la Bérarde (baromètre 2220 mètres). Le fils Gaspard, que j’avais envoyé par la vallée de la Bérarde chercher des vivres pour le lendemain, avait déjà fortifié la place en l’approvisionnant de comestibles variés. Nous devions passer la nuit à la belle étoile à l’abri de ce rocher, partir le lendemain matin avant le jour pour la Brèche, tenter la Meije de ce côté et descendre à la Grave.
Le lendemain 4 août, à 4 heures du matin, nous étions en route. A une faible distance du glacier, je priai Gaspard de me montrer le point qu’avait atteint M. Duhamel sur les rochers à pic et le chemin qu’il avait suivi. Trompé par la ressemblance des parois, il me désigna un point plus élevé et un peu plus à gauche que celui où mon ami était parvenu. Une hardiesse peut-être exagérée, une certaine confiance en moi-même, et l’entêtement qui me poussait en avant malgré ma conviction qu’il était dans l’erreur, me firent parier que j’atteindrais le petit glacier supérieur (glacier du Doigt), si M. Duhamel était vraiment arrivé au point qui m’était montré. Gaspard refusa d’abord de m’y conduire ; il n’était pas lui-même monté tout à fait jusqu’à ce point, me disait-il, et certes les guides de Chamonix qui accompagnaient M. Duhamel n’auraient pas rebroussé chemin s’ils avaient eu quelque espoir de se hisser jusqu’au glacier du Doigt. Après une longue discussion, je le décidai cependant à m’accompagner en lui promettant de ne pas tenter l’ascension de la Meije, et de n’essayer de gravir cette partie trop abrupte que pour examiner la montagne de plus près et vérifier par moi-même quel point avait atteint M. Duhamel.
Quand nous eûmes remonté la moitié environ du glacier des Etançons, nous laissâmes à notre gauche la route de la Brèche et nous arrivâmes bientôt au pied des premiers rochers de la Meije. Abandonnant en cet endroit appelé l’Epaule (baromètre 3075 mètres) la plus grande partie de nos provisions, après, bien entendu, les avoir fortement entamées, nous nous remettons en route à 9h50 min., suivant à peu près l’itinéraire de M. Duhamel. Les rochers sont escarpés, mais ils offrent des saillies nombreuses qui nous permettent d’avancer assez rapidement. C’est un granit rouge très résistant.
A 11h45 min., nous atteignons la pyramide construite par mon ami l’année précédente et qui nous indique le point où il a dû battre en retraite. Gaspard s’était trompé ; le point qu’il m’avait indiqué était plus élevé et inaccessible (baromètre 3460 mètres). En cherchant un peu, Gaspard trouve vers notre gauche une issue qui nous permet de nous élever encore d’une dizaine de mètres; puis nous sommes entièrement arrêtés. Le rocher change tout à fait de nature ; le granit fait place à un schiste plus ou moins pur qui est lisse et sur lequel les clous des chaussures n’ont aucune prise. Une paroi verticale de rochers, qui surplombe même à certains endroits, nous sépare du glacier du Doigt. La distance est d’environ 150 mètres. Après un examen attentif, nous reconnaissons que, si nous parvenons à franchir les 20 premiers mètres, le reste de la paroi sera relativement plus aisé à gravir. Gaspard, malgré sa hardiesse, refuse de tenter cette périlleuse escalade : il l’a dit impossible, et déclare qu’il ne s’y hasardera pas.
J’étais très étonné de son refus, mais je connaissais son expérience. Il était midi 50 minutes, la journée s’avançait et Gaspard paraissait décider à reculer devant cette difficuté en apparence insurmontable ; pour moi, je ne voulais pas revenir sur mes pas sans avoir fait tout ce qu’il était possible de faire pour atteindre un point plus élevé.
« Je vais essayer seul, » dis-je à Gaspard ! il s’efforça d’abord de me retenir ; puis voyant que je ne cédais pas à ses raisonnements : « Eh bien ! s’écria-t-il brusquement, vous ne vous casserez pas la tête seul ; puisque c’est votre intention, je ne vous quitterai pas ! » Pour être plus solide que cette roche glissante, nous ôtons nos souliers que nous abandonnons sur une pierre. « Nous monterons, puisque vous le voulez, mais nous ne descendrons plus, » ajoute Gaspard, en attaquant avec ardeur la paroi verticale.
Après plusieurs essais infructueux, nous finissons par hisser Gaspard sur un point où il ne peut nous prêter quelque secours pour nous aider à le rejoindre. Nous gravissons ainsi les 20 premiers mètres de la muraille, ceux précisément que nous avions crus infranchissables. Gaspard, pour ne pas perdre de temps, va seul en avant explorer la partie la plus accessible de cette terrible paroi. Il revient bientôt avec la certitude que nous avons franchi le plus mauvais passage pour atteindre le glacier du Doigt. Mais il était trop tard et nous n’étions pas organisés pour songer à monter plus haut. Le baromètre indiquait une hauteur de 3485 mètres. La descente de cette muraille si difficile à gravir se fit, malgré les appréhensions de Gaspard, très aisément au moyen d’une corde que nous scellâmes au-dessus de nous et à laquelle nous nous laissâmes glisser. Cette corde d’une dizaine de mètres environ, fut abandonnée de manière à rendre le passage plus praticable lorsque nous reviendrions tenter définitivement l’ascension.
Nous reprîmes nos chaussures avec satisfaction, après une séparation d’environ 50 minutes qui nous avait occasionné des blessures assez douloureuses aux pieds, puis nous redescendîmes à la Bérarde par la route que nous avions suivie à la montée. Nous n’avions jamais eu plus d’espoir de réussir dans notre tentative. Tous les alpinistes qui avaient examiné la montagne du côté des Etançons s’étaient accordés à penser qu’elle serait vaincue le jour où on aurait atteint le glacier du Doigt. Or, à moins de difficultés tout à fait imprévues, nous étions désormais presque certain de pouvoir atteindre ce petit glacier ; quant à la dernière partie de l’ascension, que nous avions examiné soigneusement avec notre lunette, elle ne nous paraissait pas aussi facile qu’on l’avait généralement pensé.
Notre intention était de nous reposer le lendemain et de livrer le surlendemain un assaut décisif à notre ennemie par la route que nous venions de découvrir. Cependant, redoutant un échec, nous nous gardâmes bien de rien dire à la Bérarde de nos projets et des résultats de cette première journée.
Le temps nous fut malheureusement bien peu propice les jours suivants. Deux fois nous allâmes coucher au Châtelleret et deux fois la tourmente nous en chassa. En outre, une indisposition me força à quitter la Bérarde pour retourner à Grenoble où le congrès du club alpin réunissait alors une foule considérable d’alpinistes. J’y tins mes projets secrets et je ne confiai mes espérances qu’à deux ou trois de mes amis, qui d’ailleurs eurent plutôt l’air de croire à une exaltation passagère de mon esprit qu’à l’accessibilité de la Meije.
Le 14 août, je me trouvais assez bien portant pour pouvoir, par une pluie battante, me rendre au Bourg-d’Oisans. Le 15, je me fis conduire en voiture à Vénosc, d’où je repartis aussitôt pour Saint-Christophe, Gaspard et son fils m’attendaient tous les jours avec impatience. Nous perdîmes trop de temps en préparatifs, aussi n’arrivâmes nous que de nuit à la Bérarde.
Désireux de nous décharger et craignant d’être arrêtés par quelque éperon de rochers qui nous obligeât à laisser l’un de nous en arrière pour nous tenir une corde, nous jugeâmes prudent d’engager un troisième guide. Notre choix tomba sur Jean-Baptiste Rodier, qui fut bientôt prêt à nous accompagner.
A 11 heures du soir, après avoir complété nos provisions, nous nous mettons tous quatre en marche. La nuit est noire et ce n’est pas sans nous être égarés plusieurs fois que, vers 2 heures du matin, nous arrivons, à la lueur de notre lanterne, au Châtelleret. Nous étions très chargés, car outre une grande quantité de vivre, nous emportions 100 mètres de corde.
Il était encore trop tôt pour continuer notre marche. Nous nous étendîmes autours d’un bon feu ; mes guides firent chauffer un de ces café que je n’apprécie pas beaucoup, car le solide y laisse trop peu de place au liquide.
A 4 heures 20 minutes, aux premières lueurs de l’aube, nous nous remettons en marche. A 7 heures 30 minutes, nous arrivons à l’Epaule de la Meije. Nous nous reposons 30 minutes après avoir traversé sans difficulté le glacier des Etançons. Attachés jusqu’alors à 4 mètres les uns des autres, nous doublons cette distance pour nous donner une plus grande liberté. D’ailleurs nous réduisons nos bagages à un seul sac et nous montons assez rapidement en suivant la route que nous avons déjà parcourue lors de notre première tentative.
A 9 heures 15 minutes, nous atteignons la pyramide de M. Duhamel, où nous nous arrêtons pour déjeuner. A 9 heures 25 minutes, nous reprenons l’ascension. La corde que nous avions dû abandonner nous permet de gravir plus facilement le passage que nous avions trouvé si dangereux. Le reste de la muraille nous offre pourtant d’assez sérieuses difficultés. Tous rendus solidaires par la corde qui nous attache, nous ne pouvons avancer que l’un après l’autre afin de ne pas nous trouver plusieurs à la fois dans une mauvaise position ; nous devons, en outre, perdre un temps considérable à hisser au moyen d’une petite corde les piolets qu’il nous faut à chaque instant détacher pour nous en servir.
Nous avancions avec une lenteur désespérante ; il fallait multiplier les précautions, car la paroi était toujours aussi verticale. A chaque instant, nous nous voyions forcés de revenir sur nos pas après nous être engagés dans un couloir dont nous ne pouvions plus sortir ; notre moral commencer à s’affecter. Il m’est impossible de décrire en détail les difficultés que nous eûmes à surmonter et la route que nous suivîmes pour escalader cette muraille haute de 150 mètres. Je constaterai seulement que, sans nous accorder une seule minute de repos, nous employâmes 2 heures 45 minutes pour parvenir au sommet, et pour atteindre le glacier du Doigt. Nous dûmes d’abord laisser ce glacier à notre droite afin d’en rejoindre la crête terminale à l’ouest. De cette crête, nous aperçûmes les champs et les maisons de la Grave. Pour gagner ensuite le glacier, il nous fallut rétrograder de quelques pas et nous laisser couler jusqu’au névé, où nous nous arrêtâmes 40 minutes pour déjeuner. Jean-Baptiste Rodier, le guide de la Bérarde, avait été jusqu’à ce point la principale cause de notre retard. Peu habitué à escalader des rochers aussi abrupts, il était non seulement hors d’état de nous prêter aucun secours, mais nous devions encore le hisser malgré lui en certains endroits où il ne pouvait nous suivre ; il augmentait ainsi les difficultés et le péril. Ne pouvant me passer de mon piolet pour la traversé du glacier, j’empruntai le sien à Rodier, qui ne continua pas l’ascension et qui dut attendre notre retour au point où nous l’abandonnâmes, à une altitude de 3620 mètres.
A midi 45 minutes, nous nous remettons en route tous trois, Gaspard, son fils et moi. Le glacier que nous allions traverser n’est nullement crevassé et présente une pente uniforme dans toute son étendue. Cette inclinaison, assez forte, il est vrai (45° environ), n’offrait pas un obstacle sérieux. Nous dûmes néanmoins tailler des marches pendant toute la traversé (45 minutes), avec un soin tout particulier vers la partie supérieure où nous rencontrâmes la glace vive. En arrivant à l’extrémité du glacier, nous nous trouvâmes au sommet d’un col d’où nous apercevions la vallée de la Grave vers la quelle descendait un couloir de glace vertical. Tournant alors à droite, nous gravissons sans difficulté et très rapidement les rochers du pic proprement dit de la Meije, en nous maintenant toujours sur le versant Sud de la montagne. Notre ennemie semblait vaincue lorsque, à une dizaine de mètres environ du sommet, un obstacle imprévu nous fit douter du succès. La montagne surplombait de tous les côtés. Nos efforts restent d’abord infructueux. Gaspard père tente le premier l’escalade ; il franchit trois ou quatre mètres. Arrivé à cette hauteur, il se trouve dans l’impossibilité d’avancer ou de retourner en arrière ; il nous crie de lui porter secours, ce que je parviens à faire en me hissant sur les épaules de son fils. J’arrivais à temps, car ses forces faiblissaient. J’essayais à mon tour, mais sans plus de succès : après moi, Gaspard fils parvint à atteindre un point plus élevé, mais il nous fit courir un si grand danger pour l’aider à redescendre que je voulus donner le signal de la retraite. Il s’était tellement épuisé en efforts qu’il était incapable à son retour de mouvoir aucun de ses membres et qu’il fondit en larmes, tant la concentration nerveuse avait était forte. Tous trois, pâles et tremblants, nous dûmes nous réconforter un instant. Le froid, assez vif, paralysait nos forces. Le temps s’était gâté depuis une heure. Les nuages, chassés par un vent violent qui risquait de nous faire dégringoler, nous enveloppaient à tous moments. Nous redescendîmes de quelques mètres, prêts à battre en retraite après être arrivés à 5 ou 6 mètres tout au plus du sommet, lorsque Gaspard, furieux de voir ses efforts impuissants, nous proposa de tourner le pic jusqu’à la face nord si cela était possible. Avec beaucoup de difficulté nous franchissons pour y arriver un très mauvais passage, mais cette fois le succès récompense notre persévérance et, à 3 heures 30 minutes, nous posons le pieds sur le sommet après avoir vainement tenté pendant 2 heures de gravir les derniers mètres. « Ce ne seront pas des guides étrangers qui arriveront les premiers, » s’écrie Gaspard dans l’exaltation du triomphe. Toutefois, ce qui lui fit le plus plaisir en atteignant le point culminant, ce fut d’y trouver des pierres pour y construire une pyramide. Durant l’ascension, il m’avait souvent exprimé ses craintes à ce sujet, me répétant toujours que l’on nierait, bien sûr, l’authenticité de notre course si le roc était nu.
Le sommet de la Meije, entièrement dépourvu de neige, forme une espèce d’arête très étroite dirigé de l’est à l’ouest. L’arête elle-même et la face nord sont en décomposition ; les rochers de la face sud reste au contraire très solides.
Pendant que Gaspard et son fils charriaient des pierres et construisaient au point culminant deux pyramides d’environ un mètre cinquante, je m’installai pour faire quelques observations à l’abri du vent, à deux ou trois mètres au-dessous d’eux, du côté de la Grave. Le thermomètre marquait deux degrés au-dessous de zéro. Le baromètre, correction faite, me donnait une altitude de 4000 mètres, ce qui ne différait que d’une dizaine de mètres avec la hauteur véritable. Les sommets voisins n’étaient pas visibles.
Le village de la Grave, situé au-dessous de nous, ne nous apparut que par moments, car les nuages nous entourèrent presque tout le temps que nous restâmes au sommet. Je pus pourtant, grâce à ma lunette, distinguer des membres du Club Alpin Français, qui se promenaient devant l’hôtel Juge.
C’était beaucoup d’être parvenu au point culminant ; mais il nous fallait en descendre ; cette idée n’avait rien d’agréable ni de rassurant. A 3 heures 55 minutes, nous nous remîmes en marche.
Les difficulté se présentaient aussi nombreuses qu’effrayantes. Le passage le plus rapproché du pic était infranchissable : nous dûmes fixer une des cordes à une pointe de rocher, puis nous laisser glisser le long de cette corde jusqu’à un ressaut qui nous permit de prendre pied. Ce ressaut ne se rencontra qu’à vingt mètres plus bas ; il nous fallut donc nous résigner à couper notre corde et à en abandonner un premier fragment. Ce mauvais pas franchi, nous descendîmes sans trop de peine jusqu’au glacier du Doigt ; mais, après avoir traversé le glacier où nous retrouvâmes Jean-Baptiste Rodier, et regagné la crête qui sépare le versant de la Grave et celui des Etançons, les difficultés reparurent, la corde devint encore une fois nécessaire, et un nouveau morceau de vingt mètres dut être abandonné, on devine avec quels regrets.
La nuit s’approchait, et ces rochers verticaux, déjà presque impraticables le jour, devenaient de plus en plus dangereux dans l’obscurité. Nous parvînmes cependant encore à franchir, presque sans y voir, deux ou trois passage très difficiles ; mais, arrivés à quinze ou vingt mètres seulement au dessus de la pyramide de M. Duhamel, nous nous trouvâmes arrêtés sur une corniche sans pouvoir y trouver le moindre passage, et nous dûmes nous résoudre à demeurer jusqu’au lendemain matin sur cet étroit palier de rocher. Un bloc, convenablement équilibré par le père Gaspard, nous servit de parapet et, pelotonnés sur nous-mêmes pour mieux résister au froid, nous nous préparâmes à une longue et terrible nuit.
De peur de nous voir enlever par le vent, nous reserrâmes la corde à laquelle nous étions attachés tous les quatre. Nous en passâmes une nouvelle autour de nos reins à l’aide d’un nœud coulant, de manière à nous enlacer. L’extrémité de cette corde fut scellée au moyen de nos piolets dans les rochers à quelques mètres plus haut. Ainsi suspendus dans un étroit espace où ne pouvions ni nous asseoir ni rester debout, nous attendîmes le jour, incapables de nous mouvoir, tant la place que nous occupions était limitée, nous eûmes à supporter un froid intense : la neige et le grêle qui ne tardèrent pas à tomber par rafales causèrent à nos membres engourdis de vives douleurs.
Vers 10 heures, un phénomène assez curieux de congélation se produisit sur nos vêtements : la neige, en tombant, fondait à la chaleur de notre corps, puis la température extérieure la transformait en glace ; ainsi nous était-il impossible de remuer les bras. Cette glace s’incrustait tellement dans nos habits que nous essayâmes en vain de nous en débarrasser avec nos couteaux. Bien entendu, aucun de nous ne songea à fermer l’œil durant toute la nuit. Gaspard ne me lâcha pas une minute ; nous restâmes enlacés à bras le corps ou à genoux tant que dura cette tempête. La solidité de la corde qui nous retenait été douteuse, et nous savions qu’au-dessous de nous s’ouvrait un vide profond de cinq cents ou six cents mètres. Du reste, aucun murmure ne sortit de nos lèvres : de temps à autre, une voie demandé l’heure ; à cette question personne ne pouvait répondre ; ou bien l’un de nous priait ces compagnons de le tenir à la corde pendant qu’il changeait de position, parce qu’il souffrait trop d’une crampe dans les jambes. Rien ne pouvait nous aider à supporter le vent et le froid. Nos provisions étaient depuis longtemps achevées ; notre dernière goutte d’eau-de-vie avait été équitablement partagée au commencement de la nuit. Gaspard fils voulut fumer, mais il se vit dans l’impossibilité de bourrer sa pipe, car ses mains lui refusaient tout service : mon thermomètre à minima, que j’avais fixé au commencement de la nuit un peu au-dessus de nous, me donna le matin une température de 11° au dessous de zéro.
Vers 2 heures, le temps devint moins affreux, le vent se calme et, après avoir attendu les premières lueurs du jour, Gaspard voulut, vers 4 heures du matin, continuer la descente. Ce premier effort fut très pénibles ; nous nous vîmes tous à peu près incapables de nous mouvoir et Gaspard nous donna l’ordre de nous accroupir de nouveau pour deux heures en nous serrant l’un contre l’autre. Nous nous frappions mutuellement pour tâcher de ramener la circulation dans nos membres à moitié gelés. Nous comptions sur le lever du soleil : ce fut la neige qui survînt.
A 6 heures, elle tombait en abondance et le vent soufflait en tourmente : il fallait partir et descendre à tout prix. Mais les rochers couverts de grêle et de verglas n’offraient aucune prise, et pour la troisième fois il nous fallut recourir à la corde pour atteindre la pyramide.
« Ce passage fut le dernier qui nous donna de l’ennui », écrivait Gaspard père dans le simple et modeste récit qu’il avait adressé à la Direction centrale dans la crainte que mes occupations militaires ne me permissent pas de raconter moi-même l’ascension. « Le reste de la descente fut facile. En passant devant la pierre de M. Duhamel, nous lui souhaitâmes un gros bonjour, et nous reprîmes la route habituelle. »
« Le temps ne s’améliorait pas. Toutefois, près des rochers, la vue de notre cher sac de voyage que nous y avions laissé la veille nous causa une vive émotion de joie. Nous descendîmes au pas de gymnastique jusqu’au Châtelleret et, arrivés à 9 heures à notre bel hôtel de la veille, nous fîmes un bon feu sous les rochers à l’abri de la pluie, et nous mangeâmes avec un terrible appétit . »
Ce repas terminé, nous regagnâmes la Bérarde, par une pluie battante ; il était midi lorsque nous eûmes le bonheur d’y renter.
Exténué par la fatigue et la privation de sommeil, je n’eu rien de plus pressé que de me coucher immédiatement. On me laissa dormir seize heures de suite. Quand je me réveillai, je me trouvai encore insuffisamment reposé. Le lendemain 18 août, je traversai le col de la Temple pour rejoindre mes collègues qui inauguraient le Refuge Cézanne. »
Cette première ascension du Grand Pic de la Meije en 1877 a été une véritable épopée, sans doute quelque peu romancée dans le récit de M. Castelnau, mais il est indéniable que celle-ci a joué un rôle majeur dans l’histoire de l’alpinisme français.
Comme pour toute conquête, certains personnages sont mis en avant et d’autres sont éclipsés. C’est le cas pour le père Gaspard qui portera pour la postérité l’aura de cette ascension. Exit les Jean-Baptiste Rodier, abandonné sur le glacier Carré; le fils Gaspard, qui a pourtant eu le mérite de surmonter en tête de cordée les dernières défenses du Grand Pic; Emmanuel Boileau de Castelnau qui a aussi joué un rôle essentiel en motivant et stimulant les autres notamment lorsque Gaspard père a voulu faire demi-tour dans la première partie de l’ascension et qu’il s’est engagé seul. Plus d’un siècle après cette ascension, on associe encore aujourd’hui cette première au père Gaspard, ne dit on pas « Gaspard de la Meije » !
La traversée des arêtes sera réalisée 8 ans plus tard en 1885.
Sources
La Meije par Henry Isselin, édition Arthaud
Gaspard de la Meije par Roger Canac, édition Presses universitaires de Grenoble
http://chaps.canalblog.com/albums/gaspard/index.html
Du parc national de la Bérarde au parc national des Ecrins
Avant le développement de l’alpinisme et de la géographie (carte de Cassini), le massif était très mal connu. En raison de sa taille et de sa complexité, les autochtones étaient incapables de se le représenter dans toute son étendue et ne nommaient que les cols, sommets, vallons, qui présentaient un intérêt pour les déplacements, les usages, la chasse. Tous les sommets n’en portaient pas. A la fin du XIXe siècle, ces montagnes étaient connues sous divers noms, tels que massif de l’Oisans, de la Meije, du Haut Dauphiné, du Pelvoux.
Ce XIXe siècle est placé sous le signe des bouleversements. Urbanisation galopante, révolution industrielle, développement économique, amélioration des axes de transport, montée de la bourgeoisie, … favorisent une meilleure circulation des idées et les grands débats comme celui de la protection de la nature commence à germer.
Au milieu de ce XIXe siècle, les sociétés montagnardes connaissent un maximum de population et sont confrontées à une crise démographique, économique et culturelle dont elles sortiront profondément remaniées.
La dégradation physique des montagnes, liée à une mauvaise exploitation des forêts, à des problèmes de surpâturage entraîne de nombreuses catastrophes durant la seconde moitié de ce siècle. On tient cette érosion pour responsable des phénomènes de torrentialité déjà connu des spécialistes, mais totalement ignorés du grand public. Ils sont à l’origine de graves inondations dans les plaines. Elles sont très fréquentes et ravagent la plaine de Bourg d’Oisans, et parfois même la vallée en aval jusqu’à Grenoble. Les nombreuses industries qui s’installent peu à peu dans la basse vallée de la romanche, sont elles aussi directement concernées par ces catastrophes à répétitions. Tout ce monde milite donc pour que soit mis un terme aux caprices des torrents situés en amont, notamment celui du Vénéon. Parallèlement, les forestiers demandent des moyens d’intervention accrus pour procéder à des reboisements et lutter contre le surpâturage.
La seconde moitié de ce XIXe siècle est aussi marqué par l’essor de l’alpinisme. Jusqu’alors activité marginale et confidentielle, essentiellement pratiquée par de riches anglais, l’alpinisme est découvert par les classes aisées de la France en train de s’industrialiser. De l’exploitation de l’espace montagnard à sa prise de possession matériel et symbolique, puis un souci de préserver le caractère exceptionnel de ce milieu, il n’y a que quelques pas qui seront vite franchis. Ainsi vont être crée trois grandes associations qui vont militer dans ce sens. Le CAF (Club Alpin Français) en 1874 avec pour objectif de faire connaître les montagnes, la STD (Société des Touristes Dauphinois) en 1875 aux ambitions plus local est limitée aux Alpes Dauphinoises, puis le TCF (Touring-Club de France) en 1890 qui à une ambition nationale de développement du tourisme, mais sera amené à s’intéresser aussi à la sauvegarde des montagnes.
Enfin cette période est marquée par la montée d’un sentiment écologique, surtout inspiré par des considérations d’ordre esthétique. Des esprits critiques commencent à s’insurger contre certains excès du développement et du progrès, notamment les équipements hydro-électriques, et des voix s’élèvent pour réclamer des mesures de protection des beautés de la nature et des paysages.
Ces trois courants de pensée vont évoluer de manière interdépendante. Ils se confortent mutuellement, convergent parfois. Il existe des liens idéologiques, institutionnels ou personnels entre les différents acteurs. Ils se retrouvent bien souvent au sein d’associations qui fonctionnent comme autant de groupe de pression. Même si l’idée reste floue et parfois ambigüe, on commence à militer en faveur de la protection de la montagne.
Le début du XXe siècle va concrétiser ce changement. Jusqu’en 1905, les espaces pastorales continuent à être surexploités, voire étendus sur certaines communes, notamment celle de St Christophe en Oisans, pour accroitre les rentrées financières. En 1906, une longue période de sécheresse va stopper cette surexploitation des pâturages. L’année suivante, les transhumants se détournent des pâturages du Vénéon, ce qui oblige la commune à se tourner vers le préfet pour demander de l’aide, et va susciter alors une véritable coalition des pouvoirs publics et associatifs, pour convaincre la municipalité aux abois de louer à l’état, pour une période de 5 ans son territoire pastoral afin d’en assurer la restauration. Parmi les adjudicataires, on retrouve l’état mais aussi bon nombre d’acteurs qui, dès la fin du XIXe siècle avaient sollicité l’intervention de l’autorité pour endiguer les excès de torrentialité dans les vallées du Vénéon et de la Romanche.
Jusqu’alors, tout ce qui s’est passé dans la vallée du Vénéon n’a pas de lien direct avec les grands mouvements d’idée autour de la protection de la nature. Il s’agit de régler, dans l’intérêt des populations locales, une mauvaise gestion de l’espace pastoral. A aucun moment n’est prononcé le terme de parc national. Tout va basculer avec l’arrivée d’un nouveau responsable à la tête de la conservation des Eaux et Forêts de Grenoble. Avec lui, le problème de la restauration pastorale pour endiguer les phénomènes de torrentialité prend une autre tournure. De local, il devient national. Dès lors, il va être explicitement question de la création d’un parc national, et la vallée de la Bérarde devient un providentiel terrain d’application des théories qui foisonnent en ce début de siècle (reboisement, protection des forêts, aménagement des montagnes, …). Pour concrétiser ce projet, il va faire en sorte que l’état devienne propriétaire des terrains, chose qui sera réalisé en 1912.
L’état est désormais propriétaire de 4000 hectares de montagne sur les hauteurs de St Christophe en Oisans, et l’histoire du parc peut commencer. Ainsi en 1913, est créé le parc national de la Bérarde sur le modèle de la réserve suisse de l’Engadine, fondée quatre ans plus tôt. Il s’agit de défendre la montagne contre l’envahissement des pâturages, qui entraine érosion, déboisement et désordre torrentiel. L’appel aux souscriptions pour la gestion du parc est à peine lancé, qu’éclate la première guerre mondiale et plus rien ne se passe durant cinq ans.
Ce n’est qu’à partir de 1919 que l’on reparle du parc. Mais les temps et les hommes ont changés, et l’engouement national n’est plus aussi fort. L’association des parcs forestiers est dissoute en 1922, et c’est l’administration des Eaux et Forêts qui récupère le parc, considéré comme une coquille vide avec des terrains incultes et inexploitables. Bien que ne sachant pas trop commet gérer cette nouvelle chose dont ils ont hérités, les forestiers ne restent pas inactifs. Ils essayent de donner un contenu au parc mais se heurtent à une série de limites juridiques, financières et humaines. Il faut attendre 1923 et la volonté des forestiers pour voir s’accroître l’emprise territoriale du parc, avec l’achat de 6000 hectares sur la commune du Pelvoux. L’année suivante, c’est près de 3000 hectares qui sont acquis dans le Valgaudemar.
A la fin des années 1930, le parc couvre une superficie d’environ 13000 hectares, et s’appelle désormais parc national du Pelvoux. Côté surveillance, introduction d’espèces végétales ou animales, peu de choses à noter sur cette période sans doute par manque de moyen. C’est dans le domaine de l’aménagement que l’action du parc est la plus visible. Aménagement de sentiers, construction de refuges, construction de la route jusqu’à la Bérarde, opération débutée en 1912 mais stoppé par la guerre et qui se terminera en 1927 ; et enfin la route d’Ailefroide au pré de Madame Carle en 1937 et 1938. En 1933, on parle d’un projet d’aménagement de téléphérique allant de la Grave au sommet de la Meije, projet qui va mobiliser l’opinion et raviver la nécessité de protection de la nature. Ce projet sera abandonné et il permettra de classer la Meije et d’autres sites, le lac du Lauvitel, le village de la Bérarde, le plan du Carrelet et cinq refuges en zone protégée.
Puis arrive la seconde guerre mondiale, et de nouveau le parc reste en sommeil. La période 1945 à 1960 est pour le parc national du Pelvoux celle du doute et du déclin. Les institutions centrales semblent se désintéresser de cette zone, et aucune politique de gestion cohérente de l’ensemble ne se dessine. Encore une fois, le parc vivote notamment grâce aux forestiers. Fin 1962, le parc a même perdu son statut de parc national, on utilise officiellement le terme parc domanial du Pelvoux. Depuis 1957, les regards et les intérêts se portent sur la création du parc national de la Vanoise, qui mobilise toutes les attentions, parc qui voit le jour en 1963.
Cette même année, le CAF publie un article qui relance le projet du parc du Haut Dauphiné. A l’époque, c’est le début de l’âge d’or de l’aménagement du territoire. La France est en pleine mutation économique et démographique, et les Alpes connaissent une véritable explosion touristique. On découvre l’importance des sports de nature. Tous ces éléments constituent un contexte très favorable à la relance du projet, mais les administrations concernées sont cette fois absorbées par la création du parc national des Pyrénées.
On reparle du parc en 1969, de nouveau grâce au CAF, qui publie un nouvel article pour la création du parc national des Ecrins, et cette fois le pouvoir public semble s’y intéresser. L’idée fait son chemin et en 1970, un rapport favorable est soumis aux institutions en même temps que le projet du parc national du Mercantour. Trois années sont encore nécessaires pour consulter, négocier, redéfinir les limites et enfin aboutir le 27 mars 1973 à la création officielle du parc national des Ecrins. C’est le cinquième parc national.
Soixante ans après le parc national de la Bérarde, le parc national des Ecrins est enfin crée. Commence alors une nouvelle aventure …
Aujourd’hui, le territoire du parc national des Ecrins (91800 hectares), s’étend entre les villes de Gap, Briançon et Grenoble. Il est délimité par les vallées de la Romanche, la Guisane, la Durance et le Drac. Six grandes vallées structurent le massif : Le Vénéon, la Vallouise, le Champsaur, le Valgaudemar et le Valbonnais.
Il compte une centaine de sommets à plus de 3 000 mètres et une quarantaine de glaciers (couvrant environ 17 000 hectares).Il possède plus de 700 km de sentiers entretenus et balisés, et une trentaine de refuges de montagnes. Deux sommets dépassent les 4000m (Barre des Ecrins (4102m) et Dôme de neige des Ecrins (4015m)), et quatre les 3900m (Meije 3983m, Ailefroide 3954m, Pelvoux 3946m, Pic sans nom 3913m). Le Parc possède aussi un grand nombre de lacs spectaculaires dont le Lauvitel, qui est une réserve intégrale, et affiche une profondeur de 60m pour 30 hectares de superficie.
Plus de 270 espèces animales (210 espèces d’oiseaux, dont 40 couples d’aigles royaux ; 64 espèces de mammifères, dont 15000 chamois et 600 bouquetins) et plus de 1800 espèces de fleurs, plantes (dont 216 répertoriées comme rares ou menacées et 35 endémiques) vivent dans ce massif.
Mais ce parc national des Ecrins, reste dans le cœur de beaucoup d’entre nous l’Oisans sauvage. Il renferme encore de profondes vallées sans refuge, des sommets isolés sans parasite sonore ou visuel de la civilisation, de longues marches propices à pénétrer cette nature, pour peu qu’on s’éloigne des sentiers battus …
Sources :
Chronique d’un parc oublié de JP. Zuanon
http://www.ecrins-parcnational.fr